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Au clair de la dune
Title: Au clair de la dune Author: Thodore Hannon Release Date: August 29, 2015 [EBook #49813] Language: French Credits: Produced by Eevee, Claudine Corbasson and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries) Au lecteur Table des matires AU CLAIR DE LA DUNE THO HANNON AU CLAIR DE LA DUNE POMES BRUXELLES Oscar Lamberty, diteur 70, Rue Veydt (Quartier Louise) 1909 HENRI THOMAS La Muse. 5 BONIMENT Muse, O ma Muse ultra-moderne, Dans ton maillot de bain jours, S'agit de n'tre point baderne Et d'esquisser d'adroits bonjours... Or, faisant grave sa trombine, Ma Muse, aux hanches les deux poings, Emit, du seuil de sa cabine, Ce speech que j'approuve en tous points: Benot lecteur, lectrice gente, Malgr votre air plutt moqueur, Sans vouloir fuir par la tangente, Cur en bouche et la bouche en cur, 6 Je vous prsente ce volume Qui n'offre rien de doctoral, Coups de crayon ou coups de plume En simple honneur du littoral. Folles balades sur la plage, Dans la brise, au long de la mer, Interviewant le coquillage Sous des ciels d'encre ou d'outremer. L'album qu'ici je vous prsente Est fait de soleil et de vent, De l'cume phosphorescente Et des soupirs du flot mouvant... Si quelque quatrain te la coupe, Benot lecteur, sois tolrant, Car je fis ces vers en tirant (Ah! l'exquis fminin) ma coupe. 7 IOSTENDE Ostende!... Ostende est la reine des plages, Elle commande tout le littoral. Son sceptre est d'or et les plus beaux mirages Se font rels sur son sable idal. Dispensatrice attire et subtile De toute joie et des nobles plaisirs, Elle sait joindre l'agrment l'utile Et satisfaire aux plus vastes dsirs. 8 Sur cet Eden que l'Europe patronne, Le succs fait flotter son tendard, Il veut tous les fleurons sa couronne, Et rva d'tre d'OstendeCentre d'Art. Or, pour lui faire une digne aurole, Rois de la brosse et rois de l'bauchoir, Dieux de la science et Dieux de la parole, Rivalisaient d'art et de beau savoir. Ville de luxe, attirance profonde, O la beaut brille en un cadre exquis, De ses flots verts sortit Vnus la Blonde Et tous les curs par elle sont conquis. Vraiment, Ostende est la Reine des Plages, Elle commande tout le littoral. Son sceptre est d'or et les plus beaux mirages Se font rels sur son sable idal! 9 IIL'VENTAIL L'ventail flottant au ct Comme la dague moyen-ge, Quand, sous les regards de l't, Vous irez par la blonde plage, Lorsqu'au bal dans le tourbillon Entranant de la folle danse, Vos pantoufles de Cendrillon Vibreront, battront en cadence, 10 O vous, la fleur des sables blancs Et la rose des bals brillants, Vous verrez l'ventail des fivres, Ainsi qu'un papillon charmeur, Battre de l'aile sur vos lvres Et baiser votre bouche en fleur! 11 IIIGROS TEMPS Temps lugubre, ciel morne au front charg de haine O galope en maudit le nuage au flanc lourd Qui s'abat sur la mer sinistre, s'y dchane, Crve et mle son onde aux ondes du flot sourd. Ni rires ni rayons: les plages sont dsertes. Dj l'essaim frileux des baigneuses s'enfuit, Les sables esseuls se tachent d'algues vertes O brillaient les talons fminins au doux bruit. 12 En grand courroux la mer hurle, mugit, se cabre, Conviant les flots noirs la valse macabre Que cingle dans son vol l'aile des golands. Loin, bien loin, par del la vague aux cris troublants, Comme au fond de mon cur o vient sourdre une larme, Gronde confusment quelque canon d'alarme. 13 IVEAU BNITE Or, donc on a bni la mer: Oh! les trois fois heureuses vagues... On nous purgea le flot amer A grand renfort d'oraisons vagues. On a bni sans doute aussi Du mme coup, les estacades. Voil, mesdames, Dieu merci! De quoi refroidir vos cascades... 14 Mais cette bndiction, De par ses vertus accomplies, Etendit-elle son onction Sur les soles et sur les plies? Peut-il, le goupillon sacr, Rpandre ses grces congrues Sur l'aiglefin, ventre nacr, Et sur les maussades morues? Du mme lan sanctifiant La grande, l'immense cuvette, Avec le crabe difiant Canonisa-t-il la crevette? Sut-il, enfin, le bnisseur, En son beau geste fait au moule, Bnir l'hutre noble et sa sur Plus dmocratique, la moule? Quoi qu'il en soit, dj le flot A venir vers lui nous invite: Nous allons former un bon lot De beaux diables dans l'eau bnite. 15 VVOH! A nos mes extnues Juin vienne rendre la gat! Des cieux rendus la clart Qu'il chasse les troubles nues. Juin promis, vengeur souriant, Vers nos ennuis guide ta marche, Comme la colombe de l'Arche, Porteur d'un rameau verdoyant. 16 Aussi, toute tristesse enfuie, Les sables blonds sont repeupls, Tout rit: plus de curs endeuills! On remise le parapluie, L'amour, fuyant les entresols, Flirte, gu! sous les parasols! 17 VIMER DES MORTS Ce soir, la mer semble un cimetire. Les cieux, Tristes comme ma joie, ont surbaiss leur arche Sous laquelle on dirait des corbillards en marche, Les grands nuages noirs roulant silencieux. Il fait plus sombre en moi que l-haut, et mes larmes Ftent des corbillards bien plus mornes: mon cur, Dans l'infini des spleens, revoit passer le chur Des fantmes aims et des primes alarmes... 18 Mer lugubre et sans fond, tes abmes discrets Gardent galement d'innombrables secrets. Suaire que l'cume ourle de sa dentelle! Aussi, lorsque la lune, aux flots noirs ondulant, Sur l'immense tombeau pose son reflet blanc, On croit voir la couronne o se meurt l'immortelle. 19 VIIREVANCHES Pour sauver leur me et leurs os De leurs spleens irrmdiables, Que d'autres s'en aillent aux eaux, Aux feux, aux monts... tous les diables... Nous, mieux inspirs, ne quittons Point notre allgre capitale: En l'honneur des bnins pitons Sa grce estivale s'tale. 20 Ils sont partis, tous les gneurs, O libratrices vacances, Seuls, noys dans les promeneurs, Quelques intrus sans consquences. La ville nous seuls, c'est charmant, On est chez soi mme au thtre O l'on ne compte plus, vraiment, Avec le public idoltre. Pendant que les bons exils Rissolent dans quelque fournaise, Et, par les hteliers vols, Bataillent contre la punaise. Nous, toujours dispos et bavards, Sous les draches rafrachissantes, Nous passons sur les boulevards Des heures certes ravissantes. L-bas ils vont sucer des eaux Qui couvent des ufs cholriques, Et, dans des verres biseaux, Nous lampons des liqueurs feriques. 21 D'autres risquent de drailler En cherchant au loin le mystre; D'ici nous pouvons les railler: A pied nous partons pour Cythre. D'autres, enfin, curs largis, Pour s'amuser mieux, les infmes, Laissrent l'pouse au logis... C'est nous qui consolons leurs femmes. 22 VIIIMARINE SENTIMENTALE J'ai vu la mer, j'ai vu la mer immense et blonde Elle talait sa nappe au large horizon gris Et l'on eut dit, l-bas, le firmament et l'onde, Deux lvres de gant closes dans un souris. Au soleil emperlant son dos frang, la vague S'en venait se rouler sur le sable toil De coquillages blancs o dort la plainte vague De quelque nride l'amour envol. 23 La mouette rayait, grise, le flot qui gronde... J'ai vu la mer, j'ai vu la mer immense et blonde Elle poussait vers moi son grand rugissement. Mais sa voix ne saurait touffer dans mon me L'inoubliable et doux et long bruissement Du chaud baiser d'adieu de sa lvre de flamme. 24 IXPIEUVRE A l'gal des beaux soirs qu'empourpre le soleil Votre chevelure flamboie: Votre front radieux et serein, c'est l'veil De l'aurore en robe de soie. Votre bouche est semblable quelque fleur de sang, Fleur qui consume, fleur qui glace. Votre bras, des lis frre en blancheur, est puissant Comme un serpent qui vous enlace. 25 Dans votre rire ail je bois l'oubli vainqueur... Ils rappellent, vos yeux, la mer profonde et brune, La morne mer des nuits sans lune. Et comme cette mer sombre et sans fond, mon cur Entr'ouvre un autre abme o mon il en vain plonge Pour voir la pieuvre qui le ronge. 26 XPROFANES Soit qu'elle orne, au matin, de dentelles les grves, Soit qu'elle les argente cette heure de rves O dans les cieux la lune a lui, La mer, la blonde mer, est la grande coquette Dont l'homme n'a jamais su faire la conqute, Cruelle, elle se rit de lui. 27 Elle s'tend, l't, cline et point mchante, Et sa vague au reflet de nacre vibre et chante, Berant, avec un doux roulis, La barque o, confiant, sous la voilure grise, Le nautonier profane, au soleil qui le grise, Se croise les bras amollis. Mais parfois la sournoise en riant se courrouce Et lance l'imprudent l'cume et l'algue rousse, Echevelant ses flots rageurs, Puis chasse en le sifflant ce nocher des dimanches Qui rame, haletant, et retroussant ses manches Au milieu des clats vengeurs. 28 XIHAUT DE FORME Les nuages l-haut rentrent leurs blancs moutons... Sous le ciel bleu la mer se pare de turquoises, Car c'est l'heure du bain, et les vagues, narquoises, Savonnent de leur mousse, baigneurs, vos mentons. La plage, o la coquille, en rose chapelure S'miette, tend au loin sa nappe de blondeurs; Aux baisers du soleil, sans craindre sa brlure, La dune nue tale en riant ses rondeurs. 29 Tout coup, devant moi, sur l'immense verrire Se profile un objet trs laid, lourd, bte et noir: Tube, fourneau, tromblon, chemine, teignoir? Ou bien est-ce un basset plant sur son derrire?... C'tait, sur le caillou d'un type aux traits replets, Le hideux chapeau buse avec tous ses reflets! 30 XIIPHOTOGRAPHES Juillet nous rissole grands feux Et l'on fuit vers la mer avide En regrettant presque les feus Saints de glace... La Ville est vide. Dj le long du littoral La foule rit, trempe, caqute, Depuis le baigneur doctoral Jusqu' la baigneuse coquette. 31 L'un encercl comme un tonneau Dans le caleon blanc et jaune, Gros et gras, velu comme un faune, Va, ballott par la pleine eau. L'autre dment dshabille En son costume suggestif, Charme d'un galbe... apritif La galerie moustille... Or, le photographe amateur A l'afft parmi les cabines, Et s'en pourlchant les babines, Opre en prompt escamoteur. Et son appareil plutt leste A pris au vol plus d'un bras nu Dont le souvenir ingnu Dans les yeux et le cur nous reste. 32 XIIICHAISES MISS HELYETT Le long de la mer, devant l'onde Qui meurt en doux bruissement, Aux sables dors plement Comme la nuque d'une blonde, Se suivent les chaises-abris, Niches d'osier gament gibbeuses Offrant leur ombre nos galbeuses En mal de leur poudre de riz. 33 Parfois des mres de famille Y tirent vaillamment l'aiguille, Un il aux jeux du cher bb... Lors, chaque chaise au dos bomb Pointant ces doigts roses, imite Le profil d'un Bernard l'Ermite. 34 XIVMER FACHE La mer bille. Ses flots trs ennuys font rage. La vague cume et siffle, chevelant dans l'air Comme un long coup de fouet, sa crinire d'orage, Fouet monstre qu'on croirait effil d'un clair. La mer est ce matin, bien sombre, bien austre. Elle a d'tranges voix et de fantasques cris Que, tremblante, redit sa vieille sur, la terre, Et les chos au loin hurlent, endoloris.... 35 Or, devant cette mer aux farouches fanfares, Je songe vos yeux noirs, singuliers et profonds, Et terribles comme elle, vos grands yeux bizarres Qui me tiennent noy dans leurs gouffres sans fonds. 36 XVLES MOUETTES Les mouettes aux ailes grises Tourbillonnent sur les flots bleus Et, plus lgres que les brises, Droulent leur vol onduleux, Les mouettes aux ailes grises. Je voudrais choisir l'une d'elles, Confidente de mes aveux, Pour l'envoyer tire-d'ailes Au loin porter mes tendres vux... Je voudrais choisir l'une d'elles... 37 Je lui dirais: va prs de celle Dont les yeux aux flammes d'acier Ont dans mon cur, d'une tincelle, Allum l'ternel brasier... Je lui dirais: va prs de celle, Prs de celle qui tient ma vie Dans un sourire, dans un pleur, Montre-lui ma force asservie Agonisant dans la douleur Loin de celle qui tient ma vie. O blanche messagre aile, Dis-lui ma peine et mon ennui, Dis-lui que mon me esseule Referme son aile en la nuit, O blanche messagre aile, En la nuit morne de l'absence O, sevr du charme vainqueur De sa chre toute-puissance, Languit et trpasse mon cur En la nuit morne de l'absence. 38 XVILA MER ENRHUME La mer pince parfois des rhumes tonnants Et sinistres. La nuit, elle dort toute nue, Il est vrai, sous le grand ciel de suie, et la nue Crve, glaant son ventre et ses seins frissonnants. Un catarrhe chronique en ses flots moutonnants Se dchane, s'essouffle et la vague ternue Avec un bruit rythm de basse continue, Par vous repris en chur, chos environnants. 39 Elle tousse, elle ructe et rencle, phtisie De gant, redoutable en son hypocrisie, Car parfois son chant doux monte, clair, vers le ciel. Et ce n'est certes pas un mal artificiel O la quinteuse crache, en sa rage confuse, Ses monstrueux poumons, mduse par mduse. 40 XVIIPETITS TROUS PAS CHERS Par ces chaleurs caniculaires La ville devient un enfer Et court vers le chemin de fer En qute de glaces polaires. Les uns, les poumons aux abois, S'envolent en foule nombreuse Vers les nids de l'Ardenne ombreuse Goter le charme de ses bois. 41 Les autres, prfrant les sables, S'embarquent joyeux vers la mer Et vont dans le flot dit amer Tremper leurs charmes prissables. Il est beaucoup d'autres que leurs Grandeurs attachent au rivage En un malencontreux servage Que rendent plus dur ces chaleurs. Ceux-l cherchent dans les banlieues Quelque recoin qui leur soit cher, Au fond d'un petit trou pas cher, Dans le rayon de quelques lieues... L, bien conomiquement, Leur femme et leur progniture Font de la villgiature En chambre, par abonnement. Le jardinet, c'est leurs Ardennes, La mare vaut la mer pour eux, Sans Casino plein d'amoureux Le cur fait la nique aux fredaines. 42 Les poux n'y sont point marris... Dans leurs bureaux ils se surmnent Et tous les samedis s'amnent En chur par le Tram des maris. AMDE LYNEN Petits trous pas chers. 43 XVIIIYEUX NOIRS Un sonnet sur vos yeux, Madame, c'est le diable... Car ne sont-ils pas noirs comme on le dpeint, lui? Mais dans votre prunelle un rayon grave a lui... Bref, vos yeux sont trs noirs, c'est irrmdiable. Irais-je comparer ces deux mauvais sujets Aux larmes de la nuit, des fleurs de bitume, A deux grains de caf sans la moindre amertume, A des bijoux d'bne ou des perles de jais? 44 Quel matre joaillier sertit ces gemmes sombres Au creux de votre orbite o de magiques ombres Font plus blanche votre me y venant prendre l'air? Dans l'ocan, un soir, un dense soir d'orage, Satan a d puiser le ferique cirage De ces diamants noirs au tnbreux clair. 45 XIXHEURE DU BAIN Sur le sable mouill la lourde et large roue Crie: hop! hop! la cabine est l'eau. Bras menus, Cous bruns et ronds vont luire au rayon qui tatoue... Et le chaud soleil mord cous ambrs et bras nus. Le torse cambre et craque au maillot qui frissonne, Le vent du nord halte et moule plans oss Le contour lumineux qui se dsemprisonne... Et l'immodeste brise applique des baisers. 46 Agrafant des colliers aux gorges ddaigneuses, Le flot rieur flagelle et bat les souples flancs, Malgr vos cris mignards, poltronnes baigneuses... Et la vague, lascive, enlace les corps blancs. 47 XXEN MER, EN MER! En mer! en mer, en mer!... Une heure En mer! Tels sont les appels fous Qu'au coin de l'estacade, vous Lance une voix qui rit et pleure. C'est le lgendaire steamer Avec ses marins du dimanche, Qui vous initie la mer En vous secouant dans la Manche. 48 Azur, soleil, musique bord, Flots rieurs: tout va bien, d'abord, Mais les faces se sont plies... On cherche retenir d'un bond Le dner par trop vagabond, Espoir des turbots et des plies! 49 XXIVOUS TES PARTIE... Vous tes partie et la plage est morne, Et la mer se meurt sur le sable nu. Le ciel est en deuil... Seule, au soir venu, La lune moqueuse y pointe sa corne... Vous tes partie, et tout est rancur. Dans le ciel boudeur le soleil est ple Et la dune froide aux reflets d'opale N'a plus ni chanson ni rire vainqueur. 50 Vous tes partie, il n'est plus de joie. Sur la plage sombre un crpe s'tend Et la bise met son rle attristant O la brise avait des frous-frous de soie. Des filles de mer confident discret, Le clair coquillage, en cette pluie cre, A tu les soupirs de son sein de nacre Et ne livre plus le tendre secret. L-bas, o, du Nord, la voix dsole Pleure sur la grve pre et sans cho, Saigne tristement un coquelicot: Tel mon cur o s'ouvre une rouge plaie... L-bas, sur la grve pre et sans cho. 51 XXII OFFERTOIRE Il tait nuit. La mer en grand deuil clbrait La mort du jour. Le chur des frigides tnbres Descendait du ciel triste et noir qui s'clairait D'toiles, clous d'acier de ces dmes funbres. Un vent morne courbait au loin les flots grandis; L'ocan larmoyait des hymnes mortuaires, Orgue gant qui rle un lent De Profondis, Et la vague semblait agiter des suaires... 52 La lune, triomphante et ronde, arda soudain. Or, son disque flottant sur la mer incertaine, Des grands oiseaux de nuit le funraire essaim S'en vint trs longs cris baiser cette patne. 53 XXIIIROBES CLAIRES Sur la digue ou le sable nu, Dans l'envol des longues voilettes, Ces dames vont trottant menu En leurs transparentes toilettes. L'il l'aise suit les contours Sous l'toffe qui les dessine Et dans ces rayonnants atours Mieux encore la belle assassine. 54 Elle sourit dans l'air vermeil... Les curs sortent de leur sommeil Et ne sont plus du tout polaires. Complices des cieux en moi, Qui pourra compter, dites-moi, Vos prouesses, robes claires. 55 XXIVJALOUX Eh! oui, jaloux! Je suis jaloux Ce que l'on peut appeler comme Une kyrielle de loups, Mais ce n'est certes pas d'un homme. Car je suis jaloux de la mer, De la vaste mer amoureuse Dont le flot, qu'on prtend amer, Possde une me langoureuse... 56 A l'ombre des cabines, prs De l'eau verte qui te flagelle, Et plus morose qu'un cyprs Sous le vent du Nord qui me gle, O ma baigneuse, j'admirais Ton corps si beau dans son costume, Que le flot o tu te mirais, Croyant la Vnus posthume, Vint lcher, lui, le flot altier, Tes pieds que tu recroquevilles, Et river, galant bijoutier, De clairs anneaux tes chevilles. Ensuite, ton mollet cambr, Voulant nouer sa jarretire, Il trama sur le derme ambr Un maillot pour la cuisse entire. Prodiguant son baiser salin, Et sans piti de mes tortures, Toujours montant, le flot clin, Te mit aux hanches des ceintures. 57 Or, soudain, commena l'assaut De ta poitrine demi-nue; La vague cumante, d'un saut, Bondit de la croupe charnue Et resta surprise devant Le flot de ta gorge qu'azure Un fin rseau; lors, me bravant, L'audacieuse prit mesure Pour un corset.... Tes seins jaseurs Interrompirent leurs harangues En voyant ces tranges surs Les darder de leurs mille langues. Plus indiscrte qu'un amant, La vague aux lesbiennes ivresses, T'enveloppait tonnamment De ses infcondes caresses. Puis enfin, la mer t'engloutit Enamoure, pre, bante, Te roulant, pme, en son lit D'un baiser de Sapho gante. 58 XXVRINADES D'IL Le Nord souffle, et pas dans ses doigts, Il fait son sculpteur sur la digue Et de chefs-d'uvre il est prodigue... Allons, mon cur, fais ce que dois! En bon rgaleur de prunelles, Ce Nord, le moins discret des vents, Nous offre maints tableaux vivants Dont les beauts sont ternelles. 59 Or, ces dames ne savent pas Comment protger leurs appas: Deux mains, c'est trop peu, les pauvrettes, Car du Nord le souffle suspect Trousse et retrousse sans respect... Et nous nous rinons les mirettes. F.-M. MELCHERS Rinades d'il. 60 XXVIPLEINS BATTUS La saison de Machin-sur-Chose bat son plein. Les Journaux. Voici s'exasprant l'exode Des prisonniers de nos cits Par les vacances excits. Gratte ton luth, pauvre rapsode! Au doux coin qu'un rve estompa, Que chacun dsormais prtende: Les uns se salent vers Ostende, Les autres se ferrent Spa. 61 Avec vhmente allgresse Dans quelque petit trou pas cher, D'autres s'en vont durcir leur chair O fondre leur excs de graisse. Emportant chien, bonne, poupart, Le citadin quitte son home; L'poux avec l'pouse part, La femme file avec son homme. Les chemins de fer sont lests De la foule cosmopolite Des voyageurs moins attrists Que feu les coursiers d'Hippolyte, Lors, secou par le wagon, On vole vers l'den paisible... Dj monsieur est moins bougon, Madame n'est plus irascible. Le train a beau siffler, moqueur, Les bienheureux touristes roulent Vers un nouveau printemps du cur O les soucis d'hier s'croulent... 62 Puis, devant la mer, le mari: Que d'eau. Sa bourgeoise tonne Mais nature, pousse ce cri: Dieu, quelle belle savonne!! 63 XXVIIMOLLETS Mollet vu n'est pas perdu,dit, Sans commettre de bvue, Un proverbe gure indit. Exagrons-en donc la vue! Accours mon aide, grand vent, Et tous deux mettons-nous aux trousses De ces belles que trop souvent D'un souffle indiscret tu retrousses... 64 Deux par deux, nerveux ou replets, Dans les bas jours, les mollets Vont cambrant leurs rondeurs jumelles. Et le long de ces mts prcieux On grimpe, on grimpe vers les cieux... Au rire moqueur des semelles! 65 XXVIIIMANTEAU ROUGE J'aime en la plage blonde et vierge o se devine Ta pantoufle de Cendrillon, Voir ton manteau qui semble, la brise marine, L'aile en feu d'un grand papillon. Lorsque de loin, rvant, je te contemple au fate De la dune au foltre cho, Je crois voir clater dans l'air bleu, l'il en fte, Quelque idal coquelicot. 66 Par les sables nacrs, quand le matin les dore, Et que ton manteau rouge y flotte, je crois voir L'veil empourpr de l'aurore. Mais au long de la mer si tu passes, le soir, Fire, trange, et drape en l'ardente oriflamme, C'est l'Astre au couchant dans sa flamme. 67 XXIXTRAIN DES MARIS L'air au loin s'obscurcit d'un nuage safran. Dans son ombre s'avance, ainsi qu'un dieu d'Olympe, Le train des samedis o seul Saint-Joseph grimpe. Vague, un grand cliquetis de bois vient en courant. Comme un coup de canif aigre et perant, ce merle De mtal, le sifflet, a retenti, railleur, Puis sous le blond soleil brillent, hauts en couleur Jaune, les cuivres neufs que la vapeur emperle. 68 Le coursier mugissant s'arrte enfin, fourbu. De dame seule point: des gens, menton barbu, Qui roulent quatre quatre et se pendent, normes, Au cou de leurs moitis fidles... Ce sont eux: Cannes bec de corne et gibus haut de formes... Lors se prit souffler un vent, terreur des bufs. FLICIEN ROPS 69 XXXCITRONS L'tal resplendissait aux flambes du matin. Les rougets surchauffs refltaient leurs cinabres Au ventre des turbots en robe de satin, Et les saumons d'argent avaient l'clat des sabres. Sur le marbre laiteux les cabillauds camards S'allongeaient, lourds voisins de l'ablette irise; Dans leur justaucorps pourpre clataient les homards Prs de l'algue o billait l'hutre vert-de-grise. 70 Mais les citrons surtout me charmaient: fruits joyeux Crevant comme un sein dur le fin papier soyeux... Leur parfum m'est plus doux que le parfum des fraises, Et longtemps j'aimerai leurs contours sduisants, Car devant les citrons effils et luisants Je rve aux ttins d'or ple des Japonaises. 71 XXXICOQUILLAGES Elle avait, ce soir-l, des tons de vieille estampe La plage, sous l'alme vitrail. Soudain tu ramassas, pour en baiser ta tempe, Un coquillage de corail. Que te murmurait-il en sa langue vermeille? Etait-il tendre ou bien moqueur, Tandis qu'il appliquait sa bouche ton oreille, Cherchant un cho dans ton cur? 72 Quels taient ses soupirs, coquillage des fivres De ta joue en fleur approch, Et quel tait l'aveu qu'il guettait sur tes lvres, Vers ton clair visage pench? Il te disait qu'en moi tes yeux, tes yeux tranges, Tes grands yeux aux reflets d'acier, Qui couvent les clairs sous leurs mobiles franges, Avaient allum leur brasier. Que mes veines roulaient un trange incendie Dans tout mon tre qui flambait, Et qu'au mal auquel rien, hlas! ne remdie, Mon cur embras succombait. J'aurais donn ma part de ciel pour qu' ta bouche L'pre soif qui me dvorait Put s'tancher en un baiser long et farouche, Baiser bni qui me tuerait... Mais dj tes doigts ont laiss choir sur la plage Le coquillage trop discret, Et tu continuas ta course, me volage, Sans avoir connu mon secret. 73 XXXIIGAMME CHROMATIQUE Do, r, mi, fa, sol, la, si, do! De la fort au vert portique O l'amour ne fait plus dodo Monte la gamme chromatique! R, mi, fa, sol, la, si, do, r! C'est que le soleil vient d'clore Par ce joli matin dor Qu'un doux reflet d'azur colore. 74 Mi, fa, sol, la, si, do, r, mi! Ils sont enfuis, les jours moroses. Salut ce bel astre ami Qui parat couronn de roses! Fa, sol, la, si, do, r, mi, fa, sol! A nous les toffes lgres Et le chatoyant parasol, Et la fougre, et les bergres!... La, si, do, r, mi, fa, sol, la! On part en villgiature: Partout on court adorer la Rgnratrice nature! Si, do, r, mi, fa, sol, la, si, do! Sans regret on quitte les villes O le spleen s'en va crescendo, On rve joyeux vaudevilles. Et l'on se rit des malheureux Qui, s'occupant de politique, Prorent en Chambres, pour eux La seule gamme chromatique! 75 XXXIIIFILLETTES D'VE Pour Edgar Chahine. Voyez les passer sur la digue En jupes courtes, mollets nus, Semant les rires ingnus Dont leur jeune bouche est prodigue. Elles affirment,ngation De leurs petites mes blanches, Dj de la gorge et des hanches Par bizarre auto-suggestion. 76 En abandon de leurs poupes, Elles vont, mieux qu'elles nippes, Galvanisant les vieux enfants Qui clopinent dans leurs sillages Et rvent des coquillages Inconnus aux flots triomphants. EDGAR CHAHINE Fillettes d've. 77 XXXIVGRAINS DE BEAUT Dans la nuit parfume et tide des cheveux Qui voilent ton beau front, tes yeux font deux toiles, Deux toiles d'amour sidral, et mes vux Seraient de voir vers eux mon cur enfler ses voiles. Mon cur embarquerait d'ineffables plaisirs. Or, ta bouche est une autre toile, toile rouge, Vers laquelle, non moins rouges, vont mes dsirs. O cette bouche, toile idale et qui bouge! 78 Mon me se sent fondre ses rayonnements. Mais je prfre encore ces fiers diamants, Feux sombres du regard ou feux pourpres des lvres, Ta gorge constellant sa blanche nudit De sept points trs mignons et noirs, grains de beaut, Evoquant la Grande-Ourse, Grande-Ourse des fivres! 79 XXXVBAINS NOCTURNES Lorsque, rougissant comme une neuve pouse, Le soleil dans la mer s'est cach, l'alme nuit Envahit et la dune et la plage apaise... Le flot d'encre succde au flot d'encre, sans bruit. C'est l'heure originale o les femmes de chambre Et les femmes de feux, conomiquement, Vont offrir la mer leur ivoire et leur ambre... Or, le flot cajoleur les reoit galamment. 80 La vague prte aux chairs de sa phosphorescence: Ombres chinoises d'un bol de punch mergeant! Au ras de l'ocan c'est une effervescence De cuisses, de mollets emmaillots d'argent! 81 XXXVIGRAND VENT Madame, il fait grand vent, et, le grand vent, je l'aime. Le ciel d'un bleu limpide voque le Midi. La mer hausse la voix, le flot dsattidi Se roule plus bruyant sur le sable plus blme. Dans la brise en rumeur la mouette largit Les cercles de son vol qui s'lve ou qui rampe, Et les drapeaux, heureux de souffleter leur hampe, Claquent dans le vent qui par les tuiles mugit. 82 Ce vent, grand retrousseur de filles, sur la digue S'amuse... Son haleine indiscrte en soufflant Plaque l'toffe et moule et torse et rable et flanc. Il moule, et lors devient sculpteur, sculpteur prodigue, Il moule, et nous pouvons nous payer, blouis, Des Tanagra de chairet vivantsun louis! 83 XXXVIIMER TUEUSE La mer ne s'abandonne, en ses jeux redoutables, Qu' ses fils de la cte, aux marins vritables, Le visage et le cur galement bronzs; Ces amants aux bras forts, la rude tendresse, Et pour qui, cependant, elle n'a ni caresses, Ni sourires, ni doux baisers. Ce sont eux qu'elle prend, avide d'hcatombes, Pour servir de pture ses bantes tombes. La martre en son sein berce bien plus de morts Que n'en couve la terre en ses sombres entrailles. O pauvres mariniers dormant sans funrailles Au cur des flots veufs de remords! 84 Qu'ils aillent arborant, les cieux, l'azur ou l'encre, Le pcheur, chaque jour en chantant, lve l'ancre. Stoque, il va livrer sa vie l'ocan: Gage d'un peu de pain pour les siens, misre! Il va, brave, et se sent sur l'onde qui l'enserre Guett par l'horrible nant. Au sommet de la dune, ayant vu passer l'heure, La femmeses enfants genouxprie et pleure L'homme fatalement marqu pour le trpas. Elle rclame au moins son cadavre... Et, macabre, La vague semble rire sa plainte, et se cabre Froce,et ne le lui rend pas. CHARLES MICHEL Grand vent. 85 XXXVIIIVOILES DE PLAGE Ce sont les claires oriflammes Que sur les chignons plante Eros, Battant comme ailes d'albatros, Tirebouchonnant, blanches flammes! Sous la brise, en flots onduleux, Ils montent comme des fumes S'vaporant dans les airs bleus, Encens des nuques parfumes. 86 Ramenes sur le visage, ils Ont les mystres purils Des brumes dont le soir se voile. La plage est le couvent des curs O ces dames prennent, en churs, Paradoxalement le voile! 87 XXXIXFRUITS DE LA MER Ma poissonnire est non moins frache Que les fruits nacrs de la mer Qu'elle dtaille... Rien d'amer Dans tout son tre, et rien de rche. Il faut la voir, le vendredi, Jour de Vnus et de mare, Trner, pimpante, chamarre, Au comptoir de persil verdi. 88 Sa main plus rose que l'oue Des goujons au reflet changeant, Sert les poissons d'or et d'argent A sa clientle blouie. Il faut la voir aller, venir, Dans sa boutique fabuleuse O la pche miraculeuse Semble taler son souvenir. Pour lui plaire, sa marchandise Adoucit ses bouquets salins, Les homards deviennent clins Les moules se font friandise. Rivales des beaux harengs-saurs, Prs des turbots tout ronds aux teintes Blafardes de lunes teintes, Les carpes allument leurs ors. Les saumons aux mines paternes, Voisins des caviars rancis, Comme des amoureux transis Ouvrent de grands yeux ronds et ternes. 89 Sur les hauts rayons consacrs, L'enfilade des coquillages En vain combat les maquillages De son oreille aux feux nacrs. A ses pieds les crabes oranges Frls du bas de son jupon, Semblent des monstres du Japon Fondus dans des bronzes tranges. Les maquereaux, poissons... de cur Exagrant leurs dos infmes Dont raffolent certaines femmes, La contemplent d'un air moqueur. Les piments aux lueurs de forge Dans les bocaux de cornichons, Tirent la langue ses nichons Que jalousent les airs de gorge Des citrons effils et mrs... Son derme offre de plus beaux lustres Que les boitesaux noms illustres Des conserves luisant aux murs. 90 Rousse, en effet, ses chairs prnes Se pailletent l'infini Des lenticelles d'or bruni Qu'on aime aux truites saumones. A son rire victorieux Les rougets rougissent, bgueules, Et les cabillauds ont des gueules Bates de michets srieux... Telle Vnus sortant de l'onde Dut voir une cour de poissons Pme en d'tranges frissons Autour de sa majest blonde! 91 XLP. P. C. Dj le colchique d'automne Allume de mauve les prs, Les horizons se font pourprs Sous le ciel bas et monotone. L'humide Septembre, perclus, S'en va trpasser dans ses brumes Au glas rauque de ses lus, Les noirs catarrhes et les rhumes! 92 Les nuits frachissent... Dans les bois Les arbres, s'en devenant chauves, Pleuvent leurs feuilles bientt fauves Sur l't maussade aux abois. L'aube emperle, chaque matin, La plaine o le livre en goguette Boit la rose, hume le thym, Sans souci du chasseur qui guette! L'automne en commenant son bail Nous promet de nouvelles ftes... Le sorbier suspend sur nos ttes Ses pendeloques de corail. L'hirondelle vers d'autres rives Fuit, cherchant des cieux moins voils, Et voici revenir les grives Ivres des beaux raisins vols. C'est aussi la saison des hutres... Le Train jaune n'opre plus: Monsieur rclame en ses p ......Buy Now (To Read More)
Ebook Number: 49813
Author: Hannon, Théodore
Release Date: Aug 29, 2015
Format: eBook
Language: French
Illustrator: Rops, Félicien, 1833-1898
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