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L'Illustration, No. 0009, 29 Avril 1843
Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an. 30 fr. Prix de chaque N 75 c.--La collection mens. br., 2 fr 75. Ab. pour les Dep.--3 mois. 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an. 32 fr. pour l'tranger,--3 mois. 10 fr.--6 mois, 20 fr.--Un an. 40 fr. N 9. Vol. 1.--SAMEDI 29 AVRIL 1843. Bureaux, rue de Seine, 33. SOMMAIRE Courrier de Paris. Vue de la salle de vente au Palais-Royal; portrait de Monrose.--Court scientifique, Sorbonne: zoologie.--Une visite la Chambre des Dputs. Portraits de M. Sauzet et de M. Shaw Lefebvre, speaker de la Chambre des Communes; plan et vue intrieure de la Chambre des Dputs.--Femmes franaises auteurs dramatiques.--Thtres. Lucrce, tragdie en cinq actes, de M. Ponsard; Judith, tragdie en trois actes; Hermance, comdie de madame Ancelot; une scne de Judith et une scne d'Hermance; le Puits d'Amour, opra comique en trois actes: une scne du Puits d'Amour.--La Vengeance des Trpasss, nouvelle (5e partie). Dlire de Lonor.--Industrie. Le sucre de canne et le sucre de betterave.--Statistique. Le Mont-de-Pit de Paris.--Bulletin bibliographique, avec huit gravures.--Modes. Quatre gravures.--Courses au Champ-de-Mars.--Madame Viardot Vienne.--Rbus. Courrier de Paris. MONROSE.--MADAME DAMOREAU.--LES BOUTIQUES ET LES COMTESSES.--M. LE PRINCE DE MOSKOWA.--LE LILAS ET LA PIERRE DE TAILLE.--LA POLITIQUE ET LES CASSEROLES.--M. ALEXANDRE DUMAS.--LES DEMOISELLES DE SAINT-CYR.--LES POETES AU DSESPOIR.--UN MOT DE BOILEAU.--LE CHAMP-DE-MARS A LOUER. La semaine a commenc tristement, avec la nouvelle de la mort de Monrose. Comment ne pas s'occuper d'abord de ce trpas subit qui nous enlve un de nos plus adorables et de nos plus spirituels comdiens? L'autre jour, un millionnaire expirait dans son luxe et dans sa magnifique oisivet. Qui s'en est inquit? Quels regrets cette mort splendide a-t-elle excits dans la ville? On a dit: Il vivait, il est mort, et un instant aprs, except les hritier, personne n'y songeait plus. Monrose meurt, il meurt pauvre, et voil que partout on s'en afflige. Ainsi la foule a d'admirables moments de discernement et de justice; elle est ingrate parfois, et les philosophes n'ont pas manqu de l'en accuser. Mais entre deux tombes, il est rare qu'elle se trompe et ne se contente pas de donner un regard de curiosit au mort fastueux, pour aller accompagner de ses adieux le mort utile. C'est ainsi que Monrose a recueilli la part des souvenirs et des regrets, dans cette rencontre funbre. Avec le riche s'est teint le bruit de ses ftes retentissantes: sur la tombe de Monrose, survit la mmoire de ses services, de son talent et de l'honnte plaisir qu'il a donn. Et qui pourrait nier que la vie d'un comdien comme Monrose ne soit aussi regrettable qu'elle a t agrable et utile aux autres? N'est-ce donc rien d'avoir attir la foule, pendant plus de trente ans, aux jeux potiques de la fantaisie et de l'esprit, pour lui offrir anims et vivants, par une sorte de merveilleuse incarnation, tous les types sortis du cerveau de nos meilleurs auteurs comiques? L'acteur qui s'associe avec ce bonheur, cette vrit et cette puissance aux crations de l'esprit et du gnie, n'honore-t-il pas, son tour, son pays et son poque? N'a-t-il point sa place marque la droite des hommes illustres dont il a t le traducteur habile et le vridique interprte? Vente publique au profit de la Guadeloupe, dans la Salle de la Reine au Palais-Royal. La comdie avait tout prpar pour que Monrose ne pt lui chapper. Fils de comdien, n en pleine comdie, il fut pour ainsi dire ondoy dans la coulisse. Vers 1785, Besanon, naquit Monrose. Autour de son berceau, tout jouait la comdie: pre, mre, tantes, frres et soeurs. On peut dire que Monrose sua, au biberon, des fragments de Molire, de Regnard, de Marivaux et de Beaumarchais. Enfant, il avait dj des airs veills de Frontin, de Figaro, de Labranche et de Mascarille. Devenu jeune homme, il ne dgnra point de ses pres; Monrose lit ses premires armes en province, comme Molire peut-tre, entre quatre chandelles sur quelques planches mal closes. Puis, il vint Paris; ce fut un grand jour pour notre artiste que le jour o il monta, Figaro imberbe, sur le thtre des jeunes lves, arm de la guitare et coiff de la rsille. On l'applaudit; car il tait difficile cet oeil intelligent, cette vive et mobile physionomie, toute cette verve et tout cet esprit, de ne pas russir ds son premier mot. De l, Monrose passa au thtre Montansier; par Thalie! c'tait faire un pas de gant. Il y rencontra Brunet et Tiercelin; Potier ne devait pas tarder complter le triumvirat. Monrose, tout Figaro qu'il tait, eut peur de ces grands noms et de ces grandes renommes; dans un accs de modestie, il alla chercher des rivaux moins en crdit; et ainsi Monrose chappa au vaudeville. Molire s'en rjouit et l'adopta dfinitivement. Monrose. Monrose fit rire Bordeaux, gaya Nantes, amusa l'Italie, la suite de mademoiselle Rancourt qui avait l'emploi de l'pouvanter; quand la sombre Cloptre ou l'implacable Athalie avait donn le frisson Naples et Milan, Monrose arrivait, et le sourire et la gaiet avec lui. L'invasion de 1814 fora Monrose de rentrer en France, comme s'il et t un corps d'arme ou un capitaine. Les succs qu'il obtint sur le grand thtre de Lyon murent la Comdie-Franaise, qui l'appela enfin et lui dit: Sois mon Figaro! Depuis ce moment, Monrose s'tait donn corps et me l'tude de son art, au culte des matres de la scne, la prosprit du thtre, aux plaisirs du public, prtant aux potes anciens et nouveaux le feu de son regard, l'accent vibrant de sa parole, la vivacit et l'ardeur de son talent incisif. Et partout, en tout temps, avec tout le monde, soit qu'il et affaire Molire ou Regnard, Dancourt, Beaumarchais, Boissy, Destouches, Marivaux, Le Sage; soit que Picard, Alexandre Duval, ou M. Scribe, l'appelassent leur aide, il leur prtait tous avec prodigalit, vieux ou jeunes, hommes de gnie ou hommes d'esprit, les trsors de verve comique dont il tait dou: un organe sonore, mordant et souple, un geste prompt, net, expressif, tincelant, un coup d'oeil plein de hardiesse, d'intelligence et de feu, la singulire mobilit d'un masque enjou et provoquant, la charmante lgret du jarret et de l'allure, la promptitude du trait et de la rpartie aiguise au fil de la parole, et tous ces jets blouissants, toutes ces fantaisies audacieuses qui caractrisent le Frontin, le Mascarille et le Figaro; art charmant, qui faisait de Monrose le comdien le plus piquant, le plus spirituel, le plus dli, le plus hardi, le plus entranant, et aujourd'hui le plus regrettable. Maintenant, cette gaiet est teinte et ensevelie. Mais le public sait-il assez tout ce que cote l'acteur le rire qu'il excite et le plaisir qu'il donne? A la fin de sa vie, Monrose tait tomb dans une sombre mlancolie; il est mort inquiet et profondment triste. O public! amuse-toi et ris gorge dploye!--Le cortge funbre tait nombreux: les lettres et le thtre s'y montraient en deuil. M. Samson a prononc sur la tombe des paroles touchantes; et qui pouvait mieux parler de Monrose que l'homme dont le talent survivant adoucit sa perte? A ce titre M. Rgnier, de la Comdie-Franaise, aurait pu louer Monrose cot de M. Samson.--Ainsi, tout est dit, en ce monde, pour ce charmant comdien, qui fut en mme temps un homme de talent et un honnte homme. Mais quelle voix dlicate et souple chante mlodieusement du ct de l'Opra? Cette voix a une douceur et un charme auxquels nous ne sommes plus accoutums; elle arrive et chatouille notre oreille meurtrie par les efforts violents et les oeuvres assourdissantes. Qu'est-ce donc? un gosier de fauvette ou madame Damoreau? C'est madame Damoreau! Vraiment, nos seigneurs et matres les thtres lyriques sont de singuliers sultans: ils avaient l, en leur pouvoir, cette voix exquise et suave, cette mlodie qui s'appelle madame Cinti-Damoreau, et les maladroits l'ont laisse partir et s'envoler de royaume en royaume, jusqu'au fond de la Russie, comme un cho charmant qui s'teint en s'loignant, et qu'on coute encore. L'cho est revenu, la fe mlodieuse vient de reparatre au milieu de son cortge de notes gracieuses et caressantes, mais de reparatre un soir seulement, pour recueillir la moisson dore et parfume d'une reprsentation bnfice. N'aurez-vous pas, cette fois, le bon esprit de la garder et de la retenir? et faudra-t-il qu'elle aille encore attendrir les rochers de quelque Norvge-, adoucir et civiliser les ours du Volga ou du Don, ou faire marcher les murailles de Novogorod? On va le soir porter son bravo la voix de madame Damoreau; le matin, on avait donn son offrande aux infortunes de la Guadeloupe: ainsi l'on passe de la charit au plaisir. Quel meilleur emploi de la vie? Si le plaisir est ingnieux sduire, heureusement la charit ne l'est pas moins. Aprs les bals bienfaisants et les concerts philanthropiques, que faire? Il semblait qu'on ft bout d'attrayantes inventions; mais la charit a de l'imagination, Dieu merci! Voyez-vous ce palais d'un roi transform en bazar? Des boutiques, des marchandises, des marchandes s'tablissent et s'talent sous ces lambris qui n'ont abrit jusqu'ici que des princes, des rois et des empereurs. Entrez, Messieurs! entrez, Mesdames! le vaste magasin est ouvert: choisissez votre got, achetez votre fantaisie: l'or que vous jetterez ici retombera en consolations sur une terrible infortune; il donnera du pain aux affams et relvera les maisons incendies. Marie-Amlie a patronn de sa protection royale cette vente publique au profit de la Guadeloupe infortune, et aussitt la salle du Palais-Royal, dite salle de la Reine, s'est ouverte cette pense bienfaisante. Comtesses et duchesses, le faubourg Saint-Germain et la Chausse-d'Antin, prennent pince au comptoir. Voulez-vous des tableaux et des bronzes? madame de Chabot en tient un entrept complet. Des bretelles ou des gants? voyez madame de Montesquiou. Madame de Coigny ne laisse rien dsirer pour la confection des chles et des mantelets; et pour la bijouterie, mesdames d'Elchingen, de Fezensac, d'Hautpoul et de Castellane n'ont pas leurs pareilles. N'oubliez pas surtout mesdames de Trvise, de Praslin, de Sgur, de Montjoye, d'Audenarde, du Roure, de Lariboissire, de Vatry, etc., etc., elles sont assorties la dernire mode et dans le got du jour. Nota bene. On ne marchande pas, mais on est libre de donner 300 fr. d'un paquet de plumes et 1,000 fr. d'une bote de pains cacheter. Rare et dlicieux trafic, o le vendeur ne garde rien pour lui, et o l'acheteur dlie les cordons de sa bourse avec plaisir! D'une part, la grce charmante et dsintresse des marchandes; de l'autre, la prodigalit du chaland, et plus loin, un grand dsastre qu'on soulage! N'ayant pas de babilles gagner comme leurs pres, les fils des hros de l'Empire cherchent un champ de combat dans les arts. Heureux ceux qui trouvent y occuper noblement leurs loisirs! Il y a quelques semaines, l'hritier d'un nom des plus redouts et des plus vaillants a lanc, au second Thtre-Franais, une petite comdie en vers, faute de pouvoir jeter un escadron sur les Prussiens et les Cosaques. Aujourd'hui c'est M. le prince de la Moscowa qui dirige une arme harmonique dont il est le fondateur et le gnral. Les diffrents rgimens, fltes, violons, basses, bassons, tout ce qui constitue la grande arme musicale, ont fait l'autre jour leurs manoeuvres dans la salle de Hertz. M. le prince de la Moscowa commandait avec un sang-froid et un talent remarquables, et son arme a triomph sur toute la ligne. Quelle plus charmante et plus agrable victoire, aujourd'hui que le temple de Janus est ferm! La pierre de taille envahit Paris de plus en plus: c'est le moment de s'crier comme Horace: Bientt les villes ne laisseront plus un sillon la charrue! Un pauvre jardin tait chapp, sous mes fentres, la frocit de la truelle; ils viennent de le dtruire! et quelle saison ont-ils choisie pour cet assassinat? le mois de mai, le temps on la victime me souriait dans sa jeune verdure et renaissait. Un lilas en fleurs est rest, charmant, parfum, talant sa robe embaume. Le premier jour, la vue de cette fleur si tendre, le coeur leur a manqu; mais, les maons qu'ils sont, ils la tueront demain! Les grands prparatifs pour le bal de M. Sauzet continuent; il est surtout question d'un souper monstre: le prsident de la Chambre des Dputs irait sur les brises de Lucullus. M. Sauzet est pourvu, dit-on, d'un Vatel bien capable, par ses talents superfins, de sortir victorieusement de cette grande nuit culinaire. Un dput du centre, ami particulier de M. Sauzet, vient d'tre mis en communication avec ce grand homme, pour s'entendre sur le menu: M. Sauzet a bien d'autres soins en tte, et le repas parlementaire qu'il prside tous les jours en sance publique lui suffit et au-del. L'ami s'entretenait donc avec le grand Vatel.--Vous savez que nous avons toute la Chambre, lui dit-il, la gauche et la droite, le centre, le tiers-parti et les extrmits. Comment pouvez-vous traiter tous les partis?--Monsieur, rpondit firement Vatel, comme homme, j'ai une opinion; mais comme cuisinier, je n'en ai pas. A la premire reprsentation de Lucrce on a remarqu que M. Alexandre Dumas sortait tous les entr'actes, et se promenait dans les corridors, tte nue et dans une agitation singulire. Un de nos critiques les plus spirituels va droit lui, et lui prenant la main: Eh bien, mon cher, que dites-vous de cela? M. Dumas, entr'ouvrant sa loge, et prenant vivement sa canne et son chapeau: Mon cher M. ****, je m'en vais, s'crie-l-il; je vais travailler! Est-ce une conversion, est-ce une impertinence?--La veille, M. Alexandre Dumas avait lu, au Thtre-Franais, un drame en cinq actes et en prose, intitul: Les Demoiselles, de Saint-Cyr. Lucrce n'tait pas ne, et M. Dumas aura peut-tre oubli de travailler ces demoiselles. Le succs de M. Ponsard jette le trouble et le dsespoir dans la nation des dramaturges et des potes; d'abord, les trois cents auteurs qui sont sortis du collge ou de l'cole de Droit, avec une tragdie de Lucrce dans la poche, ne peuvent comprendre qu'on leur ait prfr M. Ponsard; ils crient au passe-droit et la trahison; les potes en exercice ne sont pas moins blesss des couronnes qui tombent de toutes parts sur le jeune front de M. Ponsard. Ils se plaignent amrement de la critique qui les dpossde de leur gloire, au profit de cette muse nouvelle-venue, et prtend que depuis vingt ans, depuis trente ans peut-tre, la Melpomne n'a rien produit de comparable Lucrce. Et ma tragdie, dit celui-ci; et mon drame, s'crie celui-l; pour qui et pour quoi les prenez-vous? Je dclare que j'ai reu, pour ma part, plus de vingt ptres de reproches poignants et de rclamations attendrissantes; un tragique, entre autres, m'crit: Monsieur, vous affirmez qu'aucun succs, obtenu depuis trente ans, ne peut le disputer au succs de Lucrce. Vous devriez savoir, monsieur, que ma tragdie de Caracalla aurait t reprsente plus de deux cents fois, si le Thtre-Franais avait voulu la jouer une seule. J'ai l'honneur de vous saluer. Les Romains de M. Ponsard ont le grand mrite d'tre Romains; ils ne ressemblent pas ces hros latins la Scudry, dont Boileau se moque si ingnieusement.--Mercure: Tiens, regarde tous ces gens-l, les connais-tu?--Le Franais: Si je les connais; eh! ce sont la plupart des gens de mon quartier. Bonjour, madame, Lucrce! bonjour, monsieur Brutus! comment vous portez-vous? Le Champ-de-Mars lui-mme n'chappera pas la spculation. On annonce qu'une socit s'est forme pour le prendre bail, et le transformer en caf-restaurant et dansant. Nous arriverons, peu peu, faire une salle de billard de la plaine Saint-Denis. Cours scientifiques. SORBONNE. ZOOLOGIE.--M. DUCROTAY DE BLAINVILLE. M. de Blainville vient de reprendre la Sorbonne le cours de zoologie. Pour le clbre professeur, la zoologie n'est pas seulement une des sciences naturelles; elle se lie au contraire aux plus hautes questions de morale et de philosophie, et tout bon systme zoologique doit tre catholique. Comment un pyrrhonien, par exemple, pourrait-il admettre l'existence d'une longue srie d'tres qui se lient entre eux par des caractres dfinis, lorsqu'il doute de l'tre lui-mme? De mme l'clectique ne peut tre que mauvais zoologiste; son systme lui permettant de glaner partout, il est vident qu'il choisira ce qui lui convient, et ngligera ce qui ne rentre pas dans son systme. Nous avons entendu M. de Blainville dfinir la zoologie par cette phrase, un peu hardie peut-tre: La zoologie est la pense de Dieu traduite en animaux. Une intelligence suprme a prsid la cration, et l'ordre ne peut tre que l'oeuvre d'une intelligence. Cette ide est grande et belle, et M. de Blainville l'expose avec tout le feu de l'loquence et de la persuasion; mais de ce que l'ordre rsulte de l'intelligence, s'ensuit-il ncessairement que l'ordre tabli soit prcisment celui que M. le professeur de Blainville croit voir dans le grand livre de la nature, qui renferme encore pour nous tant de secrets et de mystres? L'homme, dont les vues sont si courtes, les connaissances si imparfaites, peut-il esprer jamais embrasser l'ensemble et comprendre le plan du monde organis? M. de Blainville est rest le seul dfenseur actuel de l'ide d'une chelle animale, d'une srie continue telle que l'avait rve Bonnet. Champion dtermin, il soutient encore envers et contre tous que les animaux se suivent comme dans une chane un chanon suit l'autre, chane dcroissante dont le premier anneau serait l'homme et le dernier l'ponge, qui termine la srie en liant le rgne animal au rgne vgtal. Le cours de cette anne doit avoir pour objet la dmonstration de cette doctrine poursuivie dans toute la srie. Le rgne animal doit, pour ainsi dire, passer en entier devant les yeux du public, attentif de la Sorbonne, qui pourra juger par lui-mme de la vrit des doctrines du matre. Afin de faire mieux comprendre ses auditeurs ces notions si leves, M. de Blainville affectionne la figure suivante: Homme Singe Chat Oiseau Ptrodactyle. Lzard. Grenouille. Serpent. Poisson Insecte. Crabe. Hutre. Corail. Infusoires. ponges Le point le plus lev de cette chelle est occup par l'homme, le dernier par l'ponge, et l'espace qui les spare est rserv pour la foule immense des animaux; chacun correspond une ligne d'autant plus longue que son organisation est plus parfaite. Les espces fossiles jouent un rle trs-important dans ce systme; bien des chelons resteraient vides si, pour les remplir, M. de Blainville n'exhumait quelques vieux dbris des temps ant-historiques. C'est ainsi que pour avoir un chanon qui unisse les reptiles aux oiseaux, la nature semble avoir cr dessein le ptrodactyle, animal antdiluvien, espce de lzard volant. L'espace nous manque pour rfuter cette doctrine spcieuse au premier coup d'oeil, idal plein de grandeur, mais que l'observation dnient chaque jour. Il existe certainement une dcroissance, une sorte de dgnration successive depuis le roi de la cration jusqu'aux derniers des animaux; mais cette srie n'est pas continue, des hiatus se trouvent chaque pas, et, comme le grand Linn l'a dit, les affinits qui unissent les animaux entre eux ne pourraient peut-tre s'exprimer jusqu' un certain point qu'en donnant au tableau du rgne animal la forme d'une carte de gographie o chaque province a des rapports intimes et plus ou moins tendus avec plusieurs provinces voisines. Quoi qu'il en soit, c'est avec les arguments les plus brillants et les plus spcieux que M. de Blainville dfend sa thse; il soutient son systme, un peu ancien peut-tre, avec une ardeur toute juvnile, et la srie animale n'eut jamais de plus loquent dfenseur. M. de Blainville admet compltement, et comme base fondamentale de son systme, la thorie des causes finales. Il est parfaitement convaincu que si l'on aborde la science sans prvention et de bonne foi, il est impossible de ne pas reconnatre partout une relation vidente de cause effet: rien n'a t cr sans but, et le but de toute cration est toujours visible aux yeux du philosophe. Bernardin de Saint-Pierre s'tait dclar le dfenseur ingnieux de cette doctrine. S'il nous tait permis cependant d'exposer notre manire de voir aprs celle du savant observateur et de l'loquent crivain, peut-tre trouverions-nous un peu hardie cette manie de tout expliquer, cette tendance de notre esprit qui nous porte soulever sans cesse, d'une main audacieuse, les replis les plus cachs du voile de la nature. Ainsi, M. de Blainville croit expliquer parfaitement pourquoi il y a de grands chats et de petits chats, pourquoi le genre Felis de Linn renferme des espces d'aussi grande taille que le lion et le tigre, et d'aussi petite que notre chat domestique; c'est parce qu'il existe des animaux herbivores et rongeurs de toutes les grandeurs, depuis le cerf jusqu'au livre, depuis le lapin jusqu'au rat. Rien de plus simple, les grands chats dvorent les cerfs, les petits prennent les souris. Il me semble qu'on oublie en ce moment que si le chat a t fait pour manger la souris, on pourrait dire avec autant de raison que la souris a t cre pour tre mange par le chat. Ces ides sont troites et mesquines, ce sont les faibles produits de notre intelligence borne qui veut tout comprendre. Dirons-nous pour cela que tout n'est que mystre, que nous ne pouvons rien lire dans le livre de la nature? Loin de l. Il est sans doute de grandes lois qu'il a t donn l'homme de dcouvrir force de patience et de gnie; mais il ne faut pas trop se hter de conclure. Soyons timides dans nos recherches. L'homme seul met en oeuvre de petits moyens pour arriver au but; mais les lois qui dirigent le monde sont grandes comme la cration elle-mme. Aprs avoir consacr la premire leon poser les bases de son systme, exposer la srie animale en ce qu'elle est et ce qu'elle n'est pas, suivant ses propres expressions, M. de Blainville entre en matire et dmontre, les pices en main, la vrit de ces assertions qui semblent d'abord un peu hypothtiques; c'est alors qu'il est vritablement grand professeur, et qu'il exprime les ides les plus ingnieuses avec une loquence pleine d'originalit. M. de Blainville s'attache dmontrer que la srie animale tant une srie dcroissante, tous les organes doivent exprimer cette dcroissance, toujours plus visible mesure que l'on descend l'chelle des tres. Ainsi, si nous prenons pour exemple la grande division des mammifres, les quadrupdes de Buffon, le premier d'entre eux sera le plus voisin de l'espce humaine, et le dernier le plus rapproch des oiseaux, qui suivent immdiatement les mammifres. Les diffrences successives se traduiront l'extrieur par des dgnrations correspondantes dans les organes. Les changements qui se manifestent dans l'organisation des animaux devant influer en premier lieu sur l'appareil digestif, puisqu'avant tout l'animal se nourrit. Olivier, pour exprimer ces caractres diffrentiels, avait donn une trs-grande importance au systme dentaire. Mais avant de mcher ses aliments, l'animal doit les porter sa bouche, et, quand c'est un tre suprieur, c'est l'aide de la main que ce mouvement s'excute. Aussi M. de Blainville a-t-il tabli ces divisions sur les caractres tirs de la perfection plus ou moins grande de cet organe. D'aprs sa dfinition, la main la plus parfaite sera celle dans laquelle les doigts seront le plus indpendants les uns des autres dans leurs mouvements. Or ce caractre ne se montre nulle part dans la srie animale d'une manire plus complte que dans l'espce humaine. Et, si nous suivons la srie des mammifres, nous trouvons que la main se dgrade toujours davantage; les doigts, encore trs-libres chez les singes, qui de tous les animaux sont les plus voisins de l'homme, le deviennent bientt moins dans les chats, chez lesquels l'ongle les recouvre en partie, et finissent par se souder entirement chez le cheval, on l'on ne trouve plus qu'un seul doigt, rentrant pour ainsi dire dans l'ongle qui l'enveloppe pour constituer le sabot. Dans les ctacs, dont l'organisation est si loin de la ntre, la main a perdu tous ses mouvements, une peau dure et coriace la recouvre et la transforme en rame. Un second caractre de supriorit tir de la main, et qui est encore port au plus haut degr possible dans l'espce humaine, est la diffrence extrme qui existe entre la main et le pied Suivant la remarque ingnieuse de Bichat, dans la main, la partit.' la plus considrable de l'organe est destine au mouvement; dans le pied, c'est le contraire, la plus grande partie du membre est consacre l'immobilit, conformation que la station bipde rendait indispensable. Chez les animaux il n'en est plus ainsi, la main devient toujours plus semblable au pied, et dans certaines espces, le cheval par exemple, cette similitude est porte un tel point qu'il faut quelques connaissances anatomiques pour distinguer au premier coup d'oeil le squelette du membre antrieur de celui du membre postrieur. Pour donner nos lecteurs quelque ide de la manire dont M. de Blainville expose les faits, nous avons pris la main pour exemple; mais tout autre organe aurait pu remplir galement bien notre but. D'aprs les ides de l'illustre professeur, tous les organes des animaux ne sont en effet que des dpendances du systme nerveux, et sont d'autant plus parfaits que ce systme est plus dvelopp lui-mme. De l la dlicatesse extrme, le mcanisme admirable de nos organes, instruments aveugles de l'intelligence. Mais de l aussi l'imperfection de ceux de ces tres infrieurs qui sont pour ainsi dire aussi loin de l'homme sous le rapport physique que sous le rapport intellectuel et moral. Une visite la Chambre des Dputs.. Tout le monde, en France, s'occupe de la Chambre des Dputs; on en parle au moins une fois chaque jour en chaque commune de France. L'habitant de la province, lorsqu'il vient Paris, ne manque pas plus de visiter le palais des reprsentants, qu'un vrai croyant de se prosterner dans le temple de la Mecque. Cependant, peut-tre en est-il de la Chambre comme de beaucoup de choses qu'on a sous les yeux, et qu'on se contente de voir sans jamais les regarder; peut-tre une vue d'ensemble manque-t-elle ceux qui connaissent bien les dtails, une vue des dtails ceux qui connaissent l'ensemble. Voulez-vous, lecteur, m'accepter pour cicrone, et me suivre au palais de ceux qui ont l'honneur d'tre nos reprsentants, ou, si vous l'aimez mieux, qui nous font l'honneur de nous reprsenter? Chemin faisant, et pour semer la route de rflexions conformes l'objet de notre voyage, jetons un moment les yeux, s'il vous plait, sur les vicissitudes du gouvernement reprsentatif, dans notre pays, depuis son origine. Il n'a pas encore soixante ans d'existence, ce qui parat, pour les gouvernements, figurer peu prs les mois de nourrice, et pourtant que de changements, que de retours, que de convulsions dans ce berceau! Les peuples en rvolution semblent, sous la main de Dieu, comme un balancier sous une main puissante. Sous cette impulsion, le pendule dcrit d'abord un secteur norme, et atteint, du premier bond, un point bien loign de son point de dpart; puis, par un retour subit, il revient sur lui-mme avec furie, et dpasse dans sa course rtrograde l'endroit d'o il avait pris son lan. Enfin, aprs quelques oscillations, il se fixe et s'arrte sur un point intermdiaire, rtrograde, si on ne pense qu' celui qu'il avait d'abord atteint; progressif, si on considre celui qu'il avait quitt. Ainsi nous avons vu le balancier populaire, une fois mis en branle par la Constituante, s'lancer jusqu' la Convention, puis revenir jusqu'au despotisme arm de l'Empire, plus dur, peut-tre, plus solide et plus prestigieux certainement que celui de l'ancienne monarchie; enfin, aprs les oscillations de 1814 et de 1815, s'asseoir et se suspendre dans ce qu'on a nomm le rgime constitutionnel. Les assembles diverses qui ont reprsent la France ces poques si profondment diffrentes, bien qu'elles ne fussent souvent spares que par quelques jours, ont, chacune par un caractre particulier, fidlement reflt la physionomie des ides et des vnements contemporains. La Constituante, noble, digne, majestueuse jusque dans ses divisions, pleine du plus pur enthousiasme qui ait jamais anim des hommes, pntre de la grandeur de sa mission et s'levant jusqu' elle: terrain vierge de l'loquence politique o toutes les varits de cette loquence poussent avec les inconvnients et les grandeurs de la vgtation primitive. Neuve arne o le docteur Guillotin, faisant son rapport sur la funbre machine dont on lui attribue faussement l'invention, pouvait dire avec une inexprience grotesque. Avec ma machine, je vous coupe la tte en un clin d'oeil, et vous ne sentirez pas; presque en mme temps qu'une voix plus grande que celle de l'orateur antique criait; La banqueroute est vos portes et vous dlibrez! La Lgislative, plus tumultueuse, moins forte, dj dborde par les passions, et avant plutt le sentiment vague que la nette perception de ce ......Buy Now (To Read More)
Ebook Number: 34998
Author: Various
Release Date: Jan 18, 2011
Format: eBook
Language: French
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