L'Illustration, No. 0043, 23 Décembre 1843

L'Illustration, No. 0043, 23 Décembre 1843 N 43. Vol. II.--SAMEDI 23 DECEMBRE 1843 Bureaux, rue de Seine,...
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L'Illustration, No. 0043, 23 Décembre 1843

N 43. Vol. II.--SAMEDI 23 DECEMBRE 1843 Bureaux, rue de Seine, 33. Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr. Prix de chaque N, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75. Ab. pour les Dp.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr. pour l'tranger -- 10 -- 20 -- 40 SOMMAIRE. Casimir Delavigne. Notice biographique et littraire. Portrait de Casimir Delavigne.--Courrier de Paris.--Thtres. Portrait de Marie-Joseph Chnier. Thtre-Franais: Une scne de Tibre. Cirque-Olympique: Dernire scne du Vengeur; la Mer calme et la Mer agite, caricatures. Thtre-Italien: Une scne de Il Fantasma.--L'Horloge qui chante, nouvelle, par Albert Aubert. (Suite et fin).--Histoire de la Semaine. Ouverture du cours de M. Raoul-Rochette; Portrait du duc de Nassau.--Algrie. Arrive de M. le duc d'Aumale Constantine. Une Gravure.--Le Procd Rouillet. Six gravures.--Publications Illustres. Les faits mmorables de l'histoire de France. Une Gravure. Aventures de Tom Pouce. Dix Gravures. La Chine ouverte. Deux Gravures. Impressions de voyage de M. Boniface. Dix Gravures.--Annonces.--Modes. Bijouterie. Cinq Gravures.--Caricature.--Rbus. Casimir Delavigne NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTRAIRE. Notre arme au cercueil eut mon premier hommage... ... Pote et Franais, j'aime vanter la France; Qu'elle accepte en tribut des prissables fleurs. Malheureux de ses maux et fier de ses victoires, Je dpose ses pieds ma joie et mes douleurs; J'ai des chants pour toutes ses gloires, Et des larmes pour ses douleurs. Ainsi chantait, aux premiers jours de la Restauration, le jeune auteur des Messniennes; ainsi, en ces heures de deuil national, le pote, peine g de vingt-trois ans, prenait le pieux engagement de consacrer sa lyre la patrie, que tant d'autres avaient renie publiquement; la France, que l'tranger occupait encore! Noble serment, que le pote ne trahit jamais! foi patriotique qui fut par lui religieusement garde! Aprs avoir pleur les malheurs de l'invasion, aprs avoir rchauff de ses vers gnreux l'amour de la patrie, qui semblait se mourir dans tous les curs; aprs avoir chant les vieilles gloires nationales, c'est encore au nom de la France, au nom de la libert, que M. Delavigne clbre et Parthnope rvolte contre L'tranger, et l'hroque soulvement des Hellnes. Napolon meurt sur son rocher, le pote chante Napolon; lord Byron va chercher une tombe glorieuse Missolonghi, le pote chante lord Byron. Plus tard paratront encore sept autres Messniennes, et toujours reviendront ces mots sacrs de libert et de patrie; toujours le porte s'inspirera des gnreux sentiments, des nobles indignations qui avaient arrach de son cur la premire et la plus belle de ses hymnes, le Chant funbre de Waterloo! Enfin, c'est lui encore qu'appartiendra la gloire de fournir une autre Marseillaise aux vainqueurs de Juillet. Ainsi fut noblement remplie la tche que le pote s'tait impose aux premiers jours de sa jeunesse, et auteur des Messniennes put dire avec un modeste orgueil: ..........Cette libert Qui sduit ma raison sa mle beaut, Que ma muse poursuit de son ardent hommage, Et dont mes fleurs d'un jour ont couronn l'image. (1). Note 1: ptre M. de Lamartine. Que d'autres, venus plus tard, aient donc par des strophes plus clatantes, par des accents plus potiques, enlev M. Delavigne le prix de la lyre, nul ne pourra se vanter d'avoir mieux fait battre les curs, nul ne pourra se parer d'une gloire plus pure, nul ne pourra dire mieux que lui: Exegi monumentum! Et la France n'oubliera point ces chants qu'elle seule inspira; et, quand l'illustre pote vient de descendre dans la tombe, sa plus belle, sa plus glorieuse pitaphe demeure encore: Ci-gt l'auteur des Messniennes! Oui, la France a perdu un noble cur, une me sincre, un esprit honnte et gnreux. Sont-ce l aujourd'hui des pertes aisment rparables? et sommes-nous assez riches en pareilles vertus pour ne point regretter amrement ceux qui les possdaient et qui viennent mourir? Rendons au moins cette justice notre pays, que la mort de M. Delavigne a t marque par la douleur publique, et que si quelques-uns, de son vivant, furent svres pour le pote, le regret universel atteste aujourd'hui l'estime sincre que tous avaient pour son beau talent et son noble caractre! Rappelons en quelques mots l'histoire de cette vie glorieuse, que prmaturment la mort vient du trancher, en la maturit du talent et la force du gnie.--Jean-Franois-Casimir Delavigne naquit au Havre, en avril 1795; son pre, honorable ngociant, avait acquis quelque fortune dans le commerce de la porcelaine. L'enfance du pote, comme celle de Boileau, n'offre rien de remarquable; le jeune Casimir, non plus qu'autrefois le jeune Nicolas, n'tait rien moins qu'un enfant sublime! et comme le pre de Despraux assurait d'avance que son fils Nicolas ne dirait jamais de mal de personne, ainsi le pre de M. Delavigne disait un jour l'auteur futur de Louis XI: Toi, mon pauvre Casimir, tu continueras mon commerce de faence.--Que deviennent donc tous ces gnies de douze ans? demandait Johnson; et d'Alembert ne flicitait-il pas Boileau d'avoir t le contraire de ces petits prodiges, qui souvent sont peine des hommes ordinaires, esprits avorts, que la nature abandonne comme si elle ne se sentait pas la force de les achever. Cependant, le jeune Delavigne, clips par ses frres, ne tarda pas les surpasser son tour. lve brillant du Lyce Napolon, il faisait sa rhtorique en 1811 lorsque naquit le roi de Rome; l'enthousiasme public chauffa sa verve potique, et il composa un dithyrambe dont l'empereur se montra satisfait. Plusieurs autres essais potiques signalrent, ds le collge, la veine naissante du jeune Delavigne, et dix-huit ans il avait dj tent l'pope et la tragdie de rigueur. Ces bauches ne se recommandaient gure que par une puret de versification, assez, commune d'ailleurs dans l'cole de Delille, alors florissante.--Des revers de fortune avaient frapp le pre de M. Delavigne, et, au sortir du collge, le jeune pote se vit contraint d'accepter un emploi administratif.--1815 arrive: la France est vaincue, asservie; le cur du pote se gonfle amrement: facit indignatio versus! et les trois premires messniennes rendent aussitt le nom de Delavigne cher tous les Franais. En mme temps sont crites les Vpres siciliennes, o semble vibrer encore la gnreuse colre, l'indignation patriotique qui avaient dj retenti dans les chants lyriques de l'auteur. Deux ans une lecture est sollicite au Thtre-Franais, et enfin obtenue. Le comit reoit la pice, cette petite condition seulement, dit un biographe, que l'auteur n'exigerait jamais qu'elle ft joue; une actrice, qui faisait partie du comit, la rejeta mme sans condition, en dclarant qu'il y aurait inconvenance mettre le mot vpres sur une affiche de thtre, et que, pour sa part, elle ne souffrirait jamais ce scandale. M. Delavigne rentre chez lui indign, et, en trois mois, il crit sa pice des Comdiens, dont les malicieuses pigrammes devaient le venger un jour de messieurs les socitaires.--A quelque temps de l, l'Odon renaissait de ses cendres (1819), et Picard, le nouveau directeur de ce thtre, demanda les Vpres siciliennes l'auteur refus. Le succs fut prodigieux, et le pote, redemand grands cris, se vit tran de vive force sur la scne, o il fut salu par des applaudissements incroyables; la pice eut trois cents reprsentations conscutives, dont les cent premires versrent 400,000 fr. dans la caisse du thtre.--L'anne suivante les Comdiens furent jous sur la mme scne, et le succs du cette nouvelle pice vengea suffisamment l'auteur des injustes ddains de la Comdie-Franaise. Dj le Paria tait achev, et au mois de dcembre 1821, cette tragdie fut reprsente l'Odon: le pote, pour crire sa nouvelle pice, avait consult tous les livres qui traitaient de l'Orient; il avait longtemps tudi Bernardin de Saint-Pierre, Tavernier et Raynal. On reconnat l l'crivain sincre qui prit plus tard pour texte de son discours de rception l'Acadmie: De l'influence de la conscience en littrature. Et certainement, jusqu' la fin de sa vie, M. Delavigne s'est montr fidle ce principe d'honntet littraire, si mconnu de nos jours. Cette tragdie du Paria, qui venait confirmer et couronner d'une manire brillante des succs dj si nombreux, semblait devoir ouvrir l'auteur les portes de l'Acadmie. Il se mit deux fois sur les rangs; la premire fois on lui prfra M. l'vque d'Hermopolis; la seconde fois, M. l'archevque de Paris; ses amis l'engageaient se prsenter encore une fois il s'y refusa, craignant, disait-il en riant, qu'on ne lui oppost le pape (2). [Note 2: Biographie de M. Casimir Delavigne, par un Homme de Bien, page 21.] A cette poque M. C. Delavigne, bibliothcaire la Chancellerie, se vit frapp d'une brutale destitution par le ministre Villle. La presse prit hautement le parti du pote, et le duc d'Orlans crivit M. Delavigne, pour lui proposer une place de bibliothcaire au Palais-Royal. La lettre se terminait par ces mots, galement honorables pour le prince et pour le pote; Le tonnerre est tomb sur votre maison; je vous offre un appartement dans la mienne. M. Delavigne accepta cette place, si gracieusement offerte, et conut des lors un sincre attachement pour son protecteur. Plus tard, l'occasion du sacre de Charles X, la maison du roi offrit au pote une pension de l,200 livres, qu'il refusa. Cependant le Thtre-Franais, auquel M. Delavigne n'avait point tenu rancune, reprsentait avec un grand succs la comdie de l'cole des vieillards (1823); Talma, pour la premire fois, avait consenti jouer un rle de comdie; il cra le rle de Danville auprs de mademoiselle Mars, qui remplissait celui d'Hortense.--Le triomphe fut tes que l'Acadmie se vit bien force d'ouvrir ses portes au pote; il obtint vingt-neuf suffrages sur trente(1825). Son discours de rception, prononc au mois de juillet de la mme anne, prsente une sorte de profession de foi littraire. L'auteur, dj proccup par les nouveauts qui se faisaient jour, et songeant ds lors fondre en un seul les deux systmes potiques, se dclare pour l'audace rgle par la raison; mots remarquables, qui doivent clairer la critique dans l'apprciation qu'elle fera du thtre et des odes de M. Delavigne. La tragdie de Louis XI tait commence; les laborieuses recherches auxquelles l'auteur se livra pour composer cette nouvelle pice altrrent sa sant: il s'embarqua pour l'Italie bord de la Madone, et son retour (1827), il publia les sept nouvelles Messniennes, qui n'eurent point le succs des premires.--L'anne suivante, la princesse Aurlie n'obtint au Thtre-Franais qu'un succs d'estime; la presse se montra gnralement hostile cette nouvelle comdie, qui ne demeure pas moins, comme la Popularit, un des meilleurs ouvrages de M. Delavigne.--Enfin, fauteur des Vpres siciliennes, abandonnant la voie purement classique qu'il avait jusqu'alors suivie, sembla obir au mouvement littraire de l'poque en composant ces pices mixtes, qui ne sont proprement ni des drames ni des tragdies. Marino Faliero, jou la Porte-Saint-Martin en 1829; Louis XI, au Thtre-Franais en 1832; les Enfants d'douard, au mme thtre, l'anne suivante, puis Don Juan d'Autriche (1835); une Famille sous Luther (mme date); La Popularit (1838) et la Fille, du Cid, marqurent les diffrents pas que fit M. Delavigne dans cette nouvelle route dramatique. Le succs couronna presque toujours les tentatives du pote, et celles d'entre ces pices qui ne restrent point la scne obtinrent du moins un succs de lecture incontestable. Nous aurons achev cette biographie, monotone peut-tre parce qu'elle n'offre qu'un enchanement de triomphes, si nous ajoutons que M. Delavigne, depuis longtemps malade et presque condamn par les mdecins, poursuivait sans relche l'accomplissement de ses nouveaux projets littraires. Le travail tait devenu toute sa vie, et, sur son lit de mort, le pote travaillait encore, composant sans doute un nouveau chef-d'uvre, dont malheureusement rien ne nous restera; car M. Delavigne avait, dit-on, l'habitude de faire ses pices tout entires en son cerveau avant d'en crire le premier vers. Singulire puissance d'esprit, qui ne pouvait tre branle par les souffrances les plus aigus! Don Juan d'Autriche, cette comdie si vive et si gaie, fut compose au plus fort d'une maladie nerveuse, qui inspirait la famille du pote de mortelles inquitudes. M. Casimir Delavigne est mort Lyon, dans la nuit du 11 au 12 dcembre; il se rendait Montpellier, esprant trouver, sous le ciel du Midi, un adoucissement ses continuelles souffrances. Sa femme et son fils ont reu son dernier soupir.--Les restes mortels du grand pote ont t ramens Paris pour y recevoir les derniers honneurs. Et maintenant, puisque dj la postrit est commence pour M. Delavigne, nous sera-t-il permis de joindre cet loge funbre quelques mots de critique littraire, pour essayer de marquer prcisment la place qu'a occupe l'auteur des Messniennes et de Louis XI parmi les potes contemporains, et de distinguer le rle particulier qu'il fui appel remplir dans cette grande tourmente potique, dans ce conflit violent des systmes ennemis, dans cet antagonisme acharn de la vieille el de la jeune posie? Un homme seul, de nos jours, fut assez heureux ou assez grand pour demeurer tout fait neutre entre les deux partis rivaux, et se voir honor la fois par les romantiques et par les classiques. Ce pote, c'est Branger. M. Delavigne ambitionnait aussi cette neutralit glorieuse; mais, pour y arriver, il prit une mauvaise route: il se fit conciliateur. Or, Molire nous a appris que l'on ne gagne rien de bon empcher les gens de se battre. Les tentatives conciliatrices de M. Delavigne n'eurent donc d'autre effet que de lui rendre hostiles et l'un et l'autre camp. Un homme s'est rencontr en Allemagne assez fort, assez audacieux pour tailler cette synthse littraire et la raliser en apparence. L'tonnant gnie de Gthe, en des uvres immortelles, enferma la pense potique des anciens et celle des modernes, et, force d'art, il parvint se crer cette langue prodigieuse qui s'inspire la fois de Sophocle et de Shakspere, du Virgile et de Dante. Mais, dans ce merveilleux travail, le pote s'effaa sous l'artiste. L'Allemagne elle-mme appela tous ses chefs-d'uvre des statues, et condamna son plus beau gnie par le surnom qu'elle lui donna de grand paen. Ce que Gthe n'avait pu faire, tait-il rserv Delavigne de l'accomplir? L'auteur de Louis XI devait-il esprer cette gloire suprme, rserve sans doute aux potes venir, de fondre en une posie souveraine les deux gnies jusqu'alors opposs des classiques et des romantiques?--La premire qualit qui ft ncessaire pour oprer une semblable liaison, c'tait videmment un don presque divin d'invention une double imagination de fond et de forme. Or,--ses admirateurs eux-mmes en conviennent,--M. Delavigne ne fut pas moins qu'un inventeur. Au lieu d'imaginer de son propre chef, il se reposait volontiers de ce soin sur Shakspere ou Byron, et se contentait de se tailler un pourpoint dans ces manteaux de rois. Quant au style, l'auteur des Messniennes tait essentiellement conservateur; ses propres paroles en font foi: Plein de respect pour les matres qui ont illustr notre scne par tant de chefs-d'uvre, je regarde comme un dpt sacr cette langue belle et flexible qu'ils nous ont lgue. (Prface de Marino Faliero.) M. Delavigne avait t lev et nourri dans le classicisme le plus pur, le plus absolu, je veux dire le classicisme imprial. Il avait grandi dans l'admiration passionne de Delille et de Ducis; et les regarder de prs les Messniennes ne sont-elles pas crites dans la langue du pome des Jardins, comme les Vpres Siciliennes dans celle d'Othello et du Roi Lear? M. Delavigne, comme toute l'cole impriale, fut d'abord et avant tout un homme d'esprit, un littrateur bien lev, un versificateur attique, de ceux-l que chrissait du prfrence le bonhomme Andrieux.--Que ces mots d'ailleurs n'aillent pas tre pris, en mauvaise part. Pour peu que l'on soit familier avec l'esprit de notre littrature classique, ou accordera que l'inspiration du bon ton et de la convenance a rgn presque uniquement dans les vers et la prose de nos deux grands sicles. De l cette fleur d'urbanit, ce parfum d'exquise politesse qui rendirent les lettres franaises chres toutes les cours europennes. Tous nos crivains classiques furent gens de bonne compagnie, et leur plus digne reprsentant, c'est le comte de Buffon, mettant, pour crire, ses manchettes de dentelle.--Or, ce fut l le mrite singulier de M. Delavigne, de demeurer le fidle et dernier reprsentant de la convenance polie et discrte, en ces temps d'anomalies souvent monstrueuses et de licences, pour la plupart, impertinences. Homme d'esprit ct d'hommes passionns, il conserva, dans son style comme dans ses crations, le respect constant de ces limites chaque jour violes. Peut-tre pcha-t-il par dfaut, mais non par excs; et, en somme, le monument qu'il a lev garde une rare dignit, qui ne sera pas son moindre titre aux yeux de l'avenir. Cependant, on ne peut le nier, malgr cette ducation, cette seconde nature classique, qui dsormais ne pouvait point se refaire, M. Delavigne, me avidement ouverte toutes les motions du jour, tous les sentiments gnreux qui remuaient la France, ne demeura pas insensible ce souffle potique qui s'levait tout coup, et gonflait les voiles des jeunes potes. Assis dans son esquif classique (Voyez l'ptre M. de Lamartine: Sous nos deux pavillons nous voguons spars.), l'auteur dus Messniennes osa livrer, aussi lui, sa voile au vent inconnu; mais il ne se hasarda pas sur cette mer nouvelle assez loin pour perdre de vue les rivages accoutums. Il semble que M. Delavigne, au lieu d'adopter par antipathie les nouveauts littraires, les ait comme subies son corps dfendant. Il y a dans ses innovations une telle timidit, une telle rserve, que le pote parat faire un sacrifice la mode du temps, prenant la cocarde romantique, mais restant au fond du cur fidle ses premires muses. Regardez Louis XI, les Enfants d'douard, Marino Faliero; l'enveloppe est demi romantique, mais le fond demeure classique; le style s'enrichit de quelques couleurs nouvelles, mais il est toujours tissu sur la trame lgante et quelque peu lche de Delille et de Ducis. M. Planche disait, trop svrement sans doute, mais avec quelque justice: On prtend que M. Delavigne a travaill son Louis XI quatorze ans. Je ne m'tonne pas que sa tragdie rflchisse toutes les rvolutions qui se sont accomplies au sein de la posie dramatique, qu'il y ait dans son pome un peu de tout, une imitation de toutes les manires..... M. Delavigne n'est ni de ce sicle, ni du sicle pass, ni du sicle prcdent. Je dfie le plus habile de surprendre une parent, si lointaine qu'elle soit, entre M. Delavigne et les choses ou ses hommes de ce temps-ci. Les Enfants d'douard m'ont sembl une gageure d'emprunter toutes les querelles, tous les systmes, ce qu'ils ont d'inoffensif et de superficiel. Il faut bien, en effet, le reconnatre: n'ayant pas le don d'initiative, qui et t ncessaire pour jouer ce grand rle de mdiateur entre les deux coles, et subissant, par conscience peut-tre, les innovations potiques, M. Delavigne ne put atteindre le but sublime qu'il se proposait, c'est--dire de fonder, par la runion et la fusion pacifique des principes ennemis, cette grande cole littraire qui semble tre promise aux destines futures de notre pays. Et il arriva, chose trange, qu'au lieu de prendre les devants, l'auteur de Louis XI rtrogradait plutt. Sa posie mixte, son inspiration mle et confuse, pour ainsi dire, semblent en effet former comme une sorte de transition entre l'cole impriale, qui se mourait, et l'cole romantique, qui naissait pour lui succder. Si donc M. Delavigne tait apparu aux derniers jours du dix-huitime sicle, avant les Natchez et les Martyrs, il et tenu cette poque une place minence, jou un rle salutaire, rempli une mission fconde. Mais, pote transitoire, alors que MM. Lamartine et Hugo avaient dcid dj le grand mouvement potique, il lui fut seulement rserv d'initier la masse, toujours retardataire, aux nouvelles ides qui triomphaient dj dans les rgions plus hautes. De l, sans limite, les grands succs populaires de M. Delavigne; et c'est en ce sens qu'il fait entendre ces dures paroles de M. Plauche: L'esprit, l'imagination et le style de M. Delavigne sont la taille du plus grand nombre. Jusqu'ici nous n'avons apprci que la valeur relative, pour ainsi dire de M. Delavigne; il nous fallait bien juger le pote au vis--vis de ses contemporains, puisqu'il avait prtendu lui-mme servir de lien entre les partis apposs de son temps.--Si, maintenant, nous considrons absolument les uvres de M. Delavigne, non-n'aurons qu' rpter les louanges lgitimes que chacun a dj donns au talent ingnieux, l'esprit lgant, au style toujours pur et choisi de l'auteur des Messniennes. Mais nous vanterons surtout cette conscience potique, cette honntet littraire, qui ne se rencontrent plus de nos jours, et qui respirent dans toutes les uvres de M. Delavigne. Jamais il ne fit trafic de sa muse, jamais il ne trempa dans ces basses pratiques, familires nos crivains les plus en renom; jamais enfin le pote ne cessa d'tre un honnte homme. Aussi son nom conservait-il auprs du public tout son premier crdit, et ses plus minces productions taient accueillies avec l'estime respectueuse que l'on devait l'auteur. M. Delavigne, d'ailleurs, trouva en sa probit littraire la rcompense qu'elle mritait; il fui presque le seul de nos auteurs fameux qui ne vit point dcrotre, avant l'ge, son talent et son gnie; jusqu'au dernier moment, il se prserva de la limite des uvres indignes, et jamais peut-tre ne s'est-il lev plus haut, comme crivain, que dans sa comdie de la Popularit, compose si longtemps aprs ses premiers chefs-d'uvre. Donnons donc un nouveau regret cet homme minent, si tt enlev aux lettres et la patrie. Personne, hlas! parmi la gnration nouvelle, ne se levant pour remplacer ceux qui s'teignent, la mort de chaque grand pote doit sembler deux fois douloureuse, et par la perte d'un beau gnie, et par le vide qu'elle laisse aprs elle, et qui ne sera point combl. Les obsques de M. Casimir Delavigne ont eu lieu mercredi, 21 dcembre. Toutes les classes de la socit avaient des reprsentants cette triste solennit; ou valuait plus de six mille le nombre des assistants. Les notabilits littraires, artistiques et politiques s'taient particulirement empresses de venir rendre ce dernier devoir l'illustre pote. Le deuil tait conduit parle fils du dfunt, et par MM. Germain et Fortun Delavigne. L'Acadmie Franaise, la commission des auteurs dramatiques et la Comdie-Franaise, assistaient en corps aux obsques.--Le roi et le duc de Nemours avaient envoy leurs voitures. Des discours ont t prononcs sur la tombe de M. Delavigne par MM. Montalivet, Victor Hugo, Frdric Souli, Tissot, ancien professeur de M. Delavigne, Samson et Lonard Chodsko: celui-ci parlait au nom de la nation polonaise. Une souscription va, dit-on, tre ouverte pour lever un monument au grand porte que la France a perdu. Les thtres, et d'abord la Comdie-Franaise, contribueraient par des reprsentations cette uvre nationale. Ces derniers jours ont t attrists par plus d'une mort; je ne parle pas des morts vulgaires: celles-l suivent leurs cours habituel et s'accomplissent sans bruit. Je veux parler des morts qui emportent un homme d'esprit ou de talent, interrompent tout coup celui-ci au milieu d'un bon mot, celui-l dans la mditation d'une uvre importante, et obtiennent dans le journal du lendemain les honneurs de l'article ncrologique. Ainsi nous avons regretter Casimir Delavigne, mort illustre! Presqu'en mme temps que le noble pote, un autre homme mourait, qui n'tait qu'un homme intelligent, d'humeur originale et plaisante; mais il avait pouss si loin la singularit et la verve folle, qu'il tait arriv par l une vritable clbrit, du moins dans le monde o il vivait et dans le cercle de ses nombreux amis.--Casimir Delavigne a droit une place part, un hommage srieux, complet, l'abri de tout voisinage et tout mlange; cette place particulire, l'Illustration l'a rserve au pote.--Quant Wollis, l'autre mort, ce n'est pas un de ces fiers enfants de la Muse, un de ces bardes inspirs dont on n'approche qu'avec respect et qui demandent un sanctuaire; on peut donc placer ici Wollis sans faon, et lui faire un simple signe d'adieu. Certes, l'ombre de ce gros, intressant et joyeux philosophe ne se fchera point d'tre ainsi traite sans plus, de crmonie; il n'est pas possible que Wollis soit plus exigeant sur le dcorum aprs sa mort que de son vivant: Wollis tait certainement l'adversaire le plus dclar de toute pompe et de toute tiquette. Tant qu'il a vcut, il fut avocat. Dieu seul aujourd'hui sait ce que Wollis est maintenait!! Mais le n'tait pas un de ces avocats jaunes, roides, tiques, amaigris par les vieux rves et le Digeste; il avait la panse ronde les joues dodues et fleuries, la lvre pleine d'apptit, l'il au champagne. Comme, aprs tout, les dieux et les rois sont soumis de rudes preuves dans la succession des rsolutions et des mtamorphoses religieuses et politiques, on aurait pu croire, voir notre Wollis, que c'tait le dieu Bacchus ou le roi de Cocagne que la charte du paganisme ou l'tablissement du systme reprsentatif avaient oblig de se rfugier sous la toge, et de se faire inscrire au tableau des avocats prs la Cour Royale de Paris. Il tait de la philosophie picurienne de feu tienne Bquet, le prdcesseur de M. Jules Janin au Journal des Dbats, et pratiquait la religion de matre Adam: Aussitt que la lumire Vient redorer nos coteaux. Je commence ma carrire Par visiter mes tonneaux. Wollis plaidait souvent. On coutait avec plaisir sa parole vive, spirituelle, fine... et frquemment trempe de chambertin et d'al, generosa plena Baccho, suivant l'expression d'Horace. Comme orateur, Wollis se couronna de pampres encore plus que de lauriers. Tous ses confrres l'aimaient,--la tendresse est rare entre avocats,--ils l'aimaient pour sa rondeur, la facilit de ses murs, sa gaiet, ses saillies, pour les mots piquants et comiques qu'il semait pleines mains avec une verve intarissable. Les graves prsidents eux-mmes ne pouvaient s'empcher de temprer leur rigidit d'un sourire, en voyant Wollis prendre place la barre.--Wollis fut un des fondateurs de la Gazette des Tribunaux: il excellait dans le compte-rendu pathtique ou burlesque; le drame, la comdie, la parade judiciaires avaient en lui un historiographe pittoresque qu'on remplacera difficilement. Il a fini par une attaque d'apoplexie,--comme il devait finir.--La veille, il s'arrosait encore amplement et plaidait pour une pauvre femme dont il obtenait l'acquittement. C'tait mourir peu prs comme il avait vcu, entre un verre et une Cour d'assises. Du reste, Wollis ne regrette pas la vie, on peut en tre sur. Il tait d'avance trop bien prpar toutes les fortunes; et puis, le sicle commenait lui sembler assez maussade. Aimant la vie et les couplets, Nos pres taient gais et frais. On change de coutume: Nos jeunes gens au teint blafard Sont joyeux comme un corbillard. Amis, voil, oui c'est bien l. C'est cela qui m'enrhume! Tous ces gens-l, sont insipides, disait-il deux jours avant sa fin; il est temps que j'aille un peu m'gayer chez les morts!--O Wollis! peux-tu nous dire si en effet l'autre monde est plus gai que celui-ci? Paris n'est pas encore remis de la surprise mle d'effroi que lui a cause l'assassinat de la malheureuse veuve Senpart. Jamais l'Ambigu-Comique, dont le mari de cette pauvre vieille femme a t longtemps directeur, n'a offert, dans ses plus noirs mlodrames, un crime plus singulirement horrible que ce crime commis en plein jour, avec une audace et un sang-froid pouvantables. Ou sait que l'assassin se nomme Ducros; il est g de vingt et un ans et appartient une honorable famille de Toulouse. Ducros tait venu perfectionner Paris ses tudes de pharmacie, disent les journaux. Quel perfectionnement! Trois jours aprs son arrive il tranglait madame veuve Senpart et la volait. Ducros a la voix douce, les manires douces, le regard doux. On peut dire,--qu'on me pardonne cet humble assemblage de mots,--qu'il assassinait son monde avec politesse. Au moment o il sortait d'trangler sa victime, tandis qu'elle tait palpitante et rlant encore, quelqu'un le vit, le chapeau la main, s'inclinant sur le seuil de la porte, dans l'attitude d'un homme qui se dfend contre un excs de prvenance: Non, madame, disait-il, ne vous drangez pas; rentrez chez vous, je vous en supplie; je ne souffrirai pas que vous me reconduisiez plus loin. Il parlait ainsi pour donner le change et faire attester au besoin, si ou l'accusait, qu' l'instant o il a ......Buy Now (To Read More)

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Ebook Number: 39901
Author: Various
Release Date: Jun 2, 2012
Format: eBook
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