Le Capitaine Martin ou, les Trois croisières

Le Capitaine Martin; ou, les Trois croisières LE CAPITAINE MARTIN OU LES TROIS CROISIRES. I Le cadeau...
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Author: Reybaud, Louis,1799-1879
Format: eBook
Language: French
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Le Capitaine Martin ou, les Trois croisières

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Le Capitaine Martin; ou, les Trois croisières

LE CAPITAINE MARTIN OU LES TROIS CROISIRES. I Le cadeau de noce. Parmi les ports franais qui se rendirent, vers la fin du dix-septime sicle, redoutables dans la guerre des corsaires, il faut placer en premire ligne Saint-Malo. C'est de l que partaient pour la course les btiments les plus lgers, les quipages les plus intrpides. La Manche semblait, appartenir ces hardis enfants de la mer, et les riches convois qui revenaient des deux Indes ne traversaient pas impunment ces parages. Dans le cours d'une seule anne plus de cent prises entrrent dans ce petit port. L'or ruisselait, pour ainsi dire, dans la ville; les marchandises les plus prcieuses y taient vendues vil prix. De grands dommages furent ainsi causs au commerce anglais; et la chose en vint au point, que l'amiraut crut devoir envoyer, en 1693, une flotte de vingt vaisseaux, arms de machines infernales pour incendier l'asile de nos infatigables croiseurs. Contenue par les batteries de la cte, l'expdition choua, et Saint-Malo ne s'en montra que plus anime contre l'Angleterre. La fortune servit si bien les entreprises de ses marins, que la ville put offrir, en 1710, trente millions de francs Louis XIV, dont le trsor tait puis par de longues et ruineuses guerres. Cette priode fut donc la fois glorieuse et fructueuse pour les braves Malouins. Elle tient une grande place dans leur histoire. Voici un pisode qui s'y rattache: Dans les derniers mois de l'anne 1690, deux Hommes marchaient avec vivacit sur la jete qui unit l'le de Saint-Malo au continent; tous les deux taient fort jeunes, quoique leur figure, hle par le soleil et l'air de la mer, et dj un caractre de virilit. On leur eut donn vingt-cinq ans; ils n'en avaient pas vingt. Malgr la familiarit apparente qui rgnait entre eux, il tait facile de voir, la diffrence des costumes, qu'ils n'appartenaient pas la mme classe. L'un tait vtu avec une lgance qui le rattachait videmment la bonne bourgeoisie, au commerce opulent de la ville. Ses manchettes, son jabot, son chapeau relev d'un galon, son pourpoint de velours, ses souliers boucles d'or, tout contribuait faire valoir sa bonne mine, son air mle et dcid, son port avantageux. L'audace, la rsolution respiraient dans ses traits, dans son front lev, dans ses yeux bleus. Il y avait en lui du hros et de l'aventurier; ses ennemis devaient le craindre, les femmes devaient l'aimer. L'autre n'avait rien de ces dehors sduisants; mais sa figure exprimait une certaine jovialit pleine de finesse. Ramass et trapu, il paraissait dou de cette agilit musculaire qui distingue les races du littoral breton. Son teint tait haut en couleur; ses cheveux blonds se nuanaient jusqu'au roux. Cet ensemble assez peu flatteur n'tait pas sauv par le costume; qui consistait en un paletot et des braies en grosse ratine brune, un bonnet de laine et des bottes vases comme en portaient alors les pcheurs de la cte. Au moment o les deux interlocuteurs abordrent le quai, la conversation tait vivement engage entre eux: --Toi, Martin, tourner la tristesse! Je ne te reconnais pas l, mon garon. --Monsieur Duguay, c'est pourtant comme a! Si le vent souffle toujours du mme bord, je suis un homme perdu. --Il n'y a donc plus de genivre dans les cabarets de Saint-Malo? --Quand le cur est plein, monsieur Duguay, il n'y a point de place pour le reste. Le genivre et moi nous ne courons plus la mme route. --Diable! tu es bien malade, alors. Conte-moi a. --Vous connaissez la fille Bertrand? --Bertrand le voilier, sur le port? --Tout juste, Gertrude Bertrand, un bijou! --Peste! tu as la main heureuse, Martin. Joli brin de fille! Et..... elle t'aime? --Comme la colique. Elle ne vent pas entendre parler de moi; mais les filles, monsieur Duguay, n'en font jamais d'autres. Elles rvent des muguets, des grands seigneurs; puis, quand elles, ont le fond honnte, elles rflchissent et nous reviennent. Un galant, a passe; un mari, a reste.. Le jeune homme qui s'adressait cette confidence parut un instant embarrass; sa joue se colora vivement; mais, se remettant de cette impression, il reprit: --Alors, o est donc l'obstacle, mon garon? --Le pre, monsieur Duguay, le damn pre. Quand je me suis dclar au vieux Bertrand, il m'a pris part, en loup de mer qu'il est. Martin, qu'il m'a dit, je n'ai rien, tu n'as rien: avec quoi nourriras-tu ma fille?--Et ceci? que je lui rplique en lui montrant mes bras.--C'est juste, tu es un bon marin, un excellent patron de barque, un pcheur intrpide. Je ne veux pas t'humilier; mais la mer est trompeuse, mais tous les jours, ne sont pas heureux, et d'ailleurs les enfants arrivent. As-tu quelques conomies? A ce mot, je faillis tomber la renverse. De quoi? que je dis en balbutiant.--Des conomies, qu'il reprit avec l'aplomb d'un boulet de trente-six.--Des conomies!... Figurez-vous mon embarras, monsieur Duguay: quatre livres dix-sept sous, c'est toute ma fortune. Jolie avance pour entrer en mnage! Je ne me troublai pas cependant; et, prenant la pose la plus carre qu'il me fut possible: Pre Bertrand, lui dis-je, je vois que vous aimez l'or, que vous tes sensible ce mtal, surtout quand il est monnay. Eh bien, foi de Martin, on la couvrira d'or, votre fille. Donnez-moi seulement trois semaines pour lui ramasser son cadeau de noce.--C'est dit,--C'est dit. Voil la chose, monsieur Duguay. Pendant que le marin parlait, le jeune homme paraissait absorb dans ses rflexions. Cet aveu le touchait videmment par quelque point. Aprs quelques minutes de silence, il fixa les veux sur son interlocuteur et lui dit: --Et que comptes-tu faire? --Me noyer, parbleu! C'est ma seule ressource. Depuis la guerre, la pche ne va plus: mes filets semblent maudits. --coute. Martin. --Oui, monsieur Duguay. --Ton bateau est-il bon marcheur? --Il n'y a pas de trincadour ou de cutter qui puisse lui en remontrer, monsieur Duguay.. --Combien d'hommes tiendrait-il sous ton pont, Martin? --Vingt hommes, en les pressant un peu.. --As-tu sous la main ces vingt hommes, des gens dcids comme toi, de hardis marins? --Trente, s'il le faut. --Martin, tu connais mon pre; il est riche, il ne veut pas me confier encore de commandement. La maison Duguay-Trouin prtend que je suis trop jeune pour monter un corsaire. Nous en armerons un sans elle. --C'est a! vive Dieu! Et les armes? --Nous les prendrons dans les magasins de la maison. Va installer ton bateau et choisir tes hommes: demain soir, nous croiserons dans la Manche. Le premier btiment anglais qui passe, hourra! et l'abordage! Tu y trouveras de quoi tenir parole au pre de Gertrude. --Et la fille, monsieur Duguay? --La fille, Martin... je m'en charge. Tu verras que je sais servir ceux qui me servent. L-dessus les deux interlocuteurs se sparrent. On le devine, l'un de ces hommes est celui qui illustra le nom de Duguay-Trouin. Ag de dix-sept ans, il tait dj tourment du dsir de se mesurer avec les Anglais. Aprs la longue paix de Nimgue, la guerre venait d'clater, et le port de Saint-Malo s'apprtait jouer sur l'Ocan le rle actif qu'il soutint pendant prs de vingt annes. Quelques amourettes ne suffisaient plus au hros; il voulait aller vers la mer, sa seule matresse. Gertrude tait du nombre des jeunes beauts qu'il avait trouves sur son passage, et il s'en tait suivi un change d'aveux; mais rien de plus. La fille de Bertrand tait trop sage, Duguay trop rserv pour, que les choses allassent au del. La confidence de Martin acheva le sacrifice: l'ardent Breton fit un retour sur lui-mme, et ds ce moment il ne songea plus qu' la gloire. De son ct, le pcheur avait compris toute la tmrit de l'entreprise. Aller la rencontre des Anglais avec un simple bateau tait un coup de tte audacieux; mais, dans la disposition d'esprit o se trouvait Martin, rien n'tait impossible son courage. L'ide de surprendre le vieux Bertrand, le pre de sa belle, par une fortune inespre, d'blouir Gertrude, de vaincre ses refus par un magnifique cadeau de noce, l'occupait tout entier. Duguay lui avait mis le dmon de l'ambition dans l'me: cela suffisait pour en faire un homme nouveau. Ce jour-l, il reparut au cabaret, mais pour y chercher des recrues. Il connaissait Saint-Malo; il ne s'adressa qu' des marins prouvs, des sujets d'lite. Le partage du butin, la haine du nom anglais, l'honneur d'un fait d'armes clatant, tout fut invoqu pour prparer, monter, enthousiasmer ce petit quipage. Dans le milieu du jour suivant, les vingt hommes taient trouvs; le bateau de pche tait install, gr, prpar, et, vers le soir, des haches d'armes, des fusils, des sabres d'abordage venaient complter cet armement en miniature. Duguay-Trouin s'embarqua le dernier: il fallait tromper la surveillance paternelle. Martin l'attendait avec ses hommes; l'ancre tait leve; on se laissa driver avec le jusant. Une fois hors des passes, la voile fut hisse, et la nef gagna le large. Le bateau tait tellement encombr par son quipage, qu'il fallut qu'une portion des matelots se tnt fond de cale. La mer tait grosse, le vent violent C'tait la premire fois que le jeune Duguay se trouvait secou par ce rude lment; il lui paya tribut, un cruel mal de mer le tourmenta toute la nuit; le moral seul le soutenait encore. Quand le jour parut, la terre se trouvait hors de vue; on naviguait en pleine Manche. Martin tenait le gouvernail et dirigeait le bateau de manire lui faire prsenter la tte aux vagues qui, chaque instant, menaaient de l'engloutir. Personne abord ne semblait troubl par le pril; une seule inquitude rgnait parmi les hommes de l'quipage, celle de ne pas rencontrer assez vite des btiments anglais. Pendant trois jours et trois nuits, la situation ne changea pas: toujours le mme vent, toujours la mme mer. On courut des bordes dans toutes les directions sans rien apercevoir. On et dit que la proie fuyait devant le chasseur. Enfin, le quatrime jour, aux premires lueurs de l'aube, Martin dcouvrit un btiment vers le N.-O. Il paraissait considrable; en rapprochant on reconnut une frgate. A l'instant mme, on manuvra pour l'viter; c'tait tomber, comme l'on dit, dans la gueule du loup. Mais bientt les voiles se succdrent. Cette frgate escortait un convoi de navires marchands, qui taient dissmins sur une vaste ligne. Ils passrent peu de distance du bateau qui portait nos aventuriers, sans en concevoir la moindre inquitude. Cette coquille de noix, gare sur l'Ocan, ne leur paraissait pas mriter l'honneur que l'on prit garde elle. Tant que Martin n'aperut que des btiments forms par groupes et pouvant se secourir les uns les autres, ou tre secourus par la frgate, il contint sa marche, et fit cacher ses hommes sous le pont. Mais, deux lieues environ de distance du gros du convoi, se trouvait un norme navire pesamment charg, et qui semblait suivre avec peine ses conserves. Ce fut sur cette capture que Martin dirigea tous ses efforts. L'entreprise tait difficile; on assembla une sorte de conseil de guerre, que le jeune Duguay prsida comme armateur et capitaine de l'expdition. Quelques marins voulaient attendre la nuit pour aborder l'ennemi; Duguay et Martin furent d'avis d'attaquer l'instant mme, et ce plan prvalut. On devait s'aller mettre sur le chemin du navire, feindre une avarie dans les agrs et se laisser driver sur lui. Les grappins d'abordage et le courage achveraient le reste. Cette disposition fut d'abord djoue: le btiment marchand varia roule, comme s'il s'etait dfi de la petite nef; mais il en rsulta pour lui un autre inconvnient, celui de s'loigner du convoi au point de le laisser hors de vue. Alors Duguay eut recours une autre manuvre; il fit route droit sur sa proie, et vint heurter, la proue du bateau contre la muraille d'un gigantesque trois-mts. --A l'abordage! cria-t-il d'une voix terrible. A ce cri les vingt hommes se prcipitrent dans les haubans du navire attaqu, et se trouvrent bientt sur le pont, rangs en bataille. Le capitaine tait sur le gaillard, d'arrire, entour d'une trentaine de matelots ou officiers, tous arms. La mle commena; elle fut affreuse. L'quipage du trois-mts se dfendit avec une intrpidit admirable, et plus d'un Malouin demeura sur le champ de bataille. Le capitaine tait le centre d'un groupe qui offrait une rsistance dsespre. Martin rsolut d'en finir; il jeta son sabre, ses pistolets, et avec son seul poignard il courut vers le chef ennemi; essuya, sans chercher les parer, divers coups qu'on lui portait, et plongea son couteau dans la gorge de son adversaire, au moment o celui-ci dchargeait brle-pourpoint son pistolet. La balle brisa le bras de Martin la hauteur du poignet; mais le capitaine tomba. Duguay expdiait, en mme temps le second, et d'une manire: plus heureuse encore. Ce double exploit termina l'affaire; le reste de l'quipage se rendit discrtion. On le mit aux fers pour plus de sret. La prouesse de Duguay-Trouin n'avait pas t vaine: Martin avait son cadeau de noce. Et quel cadeau! Un beau vaisseau hollandais revenant de Goa avec une cargaison prcieuse. Duguay ne voulut pas que la moindre ingalit prsidt au partage de cette riche capture. Les droits du roi prlevs, chaque homme devait avoir son lot; le bateau comptait pour un homme. Cependant il fallait songer mettre d'abord la prise l'abri; Martin ne quitta plus le gouvernail; avec une adresse extrme, il vita les voiles qui lui semblaient suspectes, et six jours aprs son dpart de Saint-Malo il y rentrait triomphant sur un magnifique navire. Le petit bateau de pche suivait la remorque; le vaincu tranait le vainqueur. Toute la population bahie vint admirer ce spectacle et accueillit avec des cris de joie le brave Duguay et son quipage. C'tait prluder dignement un avenir de victoires. A huit jours de l, la prise tait vendue avec sa riche cargaison, et le jeune hros abandonnait son contingent au patron de la barque, tmoin, de son premier exploit. Martin le pcheur se vit ainsi la tte de quarante mille francs; il devenait un fort beau parti. Notre Malouin convertit la somme en belles pices d'or, en quadruples, et se rendit chez Bertrand le voilier, juste quinze jours aprs leur premire entrevue. Sa main gauche tait empaquete et soutenue par un bandage. --Pre Bertrand, lui dit-il, a tient-il toujours, votre parole propos de Gertrude? --Sans doute, mon garon, sans doute. Elles donnent donc, les piastres fortes, matelot? --Des piastres! pour qui me prenez-vous, pre Bertrand? Dites des douros, des doublons espagnols, de l'or pur. Et il tirait des poignes de quadruples de sa poche, en les jetant sur la table. L'or roulait de tous les cts, sur le plancher, sous les armoires, jusque dans l'tre. --En veux-tu? en voil; des poignes, quoi! et puis d'autres! Je vous avais bien dit, pre Bertrand, que je couvrirais votre fille d'or. Il n'y en a plus et il y en a encore. Allez donc! allez donc! Le brave pcheur continuait, en parlant ainsi, puiser ses poches. Le pre Bertrand ouvrait des yeux merveills. Cependant une rflexion vint arrter soudainement sa joie: --Tout a est fort beau, Martin, mais Gertrude? Si elle allait te refuser? --Pas possible, l'ancien. Mon capitaine, M. Duguay, s'est charg de la chose. --C'est arrang, dit Duguay survenant; Gertrude accepte. Elle ne pouvait mieux choisir qu'un brave qui a laiss son poignet gauche sur le champ de bataille pour lui offrir un cadeau de noce qui ft digne d'elle. Martin, tu peux commander les violons. --Bravo! s'cria celui-ci; et c'est le Hollandais qui paye. II Les drages du baptme. Gertrude, devenue madame Martin, s'accommoda parfaitement de sa position nouvelle. Le mariage dissipa bien vite les rves romanesques de la jeunesse. C'tait d'ailleurs une personne pleine de sens et leve par son pre dans des principes d'honneur. Le sacrifice que son mari lui avait fait, l'action hroque dont elle tait cause, sa mutilation mme, taient autant de liens qui l'attachaient lui; elle devint une excellente femme, et le sentiment fugitif que lui avait inspir le jeune Duguay se changea en bonne et franche amiti. Il faut dire que Martin tait dsormais l'un des personnages importants de Saint-Malo. Avec l'argent qui provenait des dpouilles du Hollandais, il avait achet un cutter arm de six canons, et qui portait crit sur son couronnement ce nom peu potique, le Renard. Duguay-Trouin montait la Gloire, Martin, le Renard, et plusieurs fois ils oprrent en commun. Diverses prises avaient suivi la premire, et Martin le pcheur tait alors pour tout le monde le capitaine Martin. Ce n'tait plus l'homme que nous avons vu, au dbut de cette histoire, vtu de ratine brune et coiff du bonnet de laine. Le costume avait chang avec la fortune. Envers sa femme surtout il se montrait magnifique. Rien n'tait assez beau, assez brillant pour elle. La fille du voilier clipsait par sa toilette les plus brillantes dames de la ville. Tout ce que les prises renfermaient de prcieux, les mousselines, les cachemires de l'Inde, les perles, les beaux tapis, passaient d'abord sous ses yeux: madame Martin faisait son choix, et le capitaine se fchait quand elle se montrait trop discrte. La prodigalit tait la qualit dominante de ces corsaires bretons, et personne ne la poussait plus loin que le capitaine Martin. Pendant qu'il sjournait terre, ses quipages trouvaient chez lui table ouverte. Toutes les semaines il donnait un gala qui rappelait les ftes de Gamache. Les vins les plus exquis, les mets les plus recherchs figuraient sur sa table. Un luxe trange rgnait dans sa maison, qui semblait meuble aux dpens de l'univers entier. On y voyait des toffes de tous les pays, des curiosits des quatre parties du monde, des armes de prix, des objets qui auraient figur avec honneur dans des muses ou dans un cabinet d'artiste. Martin, enfant de pcheur, attachait un grand prix ces bagatelles, et Gertrude possdait ce sentiment fin et dlicat que les femmes apportent en toute chose. Seulement celle-ci avait de plus que son mari la prvoyance de l'avenir. Au milieu de ces dpenses folles, elle ne pouvait retenir ses regrets. Elle savait que la mer est capricieuse et qu'elle a ses bons et ses mauvais jours. Parfois elle conseillait l'conomie Martin; mais celui-ci riait de ces apprhensions et semblait rsolu lasser la fortune en gaspillant ses dons.. Cet ennui n'tait pas le seul que le capitaine caust sa femme. On a vu qu'il n'avait rien de sduisant; et la course, en le rendant manchot, ne l'avait pas embelli. Cependant Martin affichait des prtentions aux conqutes galantes. Gnreux et prodigue, il pouvait jeter le mouchoir ces beauts faciles qui ne tiennent jamais rigueur la richesse. Mais le capitaine visait plus haut: il voulait sduire, il voulait plaire. Duguay-Trouin, devenu son ami, lui donnait en vain les conseils les plus sages; Martin faisait semblant de s'y rendre; mais le naturel reprenait bientt le dessus. Gertrude se rsignait; elle allait tre mre. Les devoirs de la paternit devaient, elle l'esprait du moins, influer sur le caractre de son mari, lui rendre ses habitudes de prvoyance et de fidlit. Parmi les femmes que le capitaine avait rencontres sur son passage, il en tait une surtout qui avait fait une vive impression sur lui. On la nommait madame Durbec; elle tait veuve d'un riche armateur de Saint-Malo, dj mre, mais conserve admirablement, au moyen de cet art qui est l'usage des coquettes. Les plus grands falbalas, les plus majestueux panaches entraient dans ses atours; cela suffisait pour fasciner Martin. Sa ferronnire tait place de faon donner plus d'clat des yeux noirs, dj fort brillants par eux-mmes. Les yeux noirs sont en gnral fort gots des cumeurs de mer: ils se rattachent tous les souvenirs de la course. Ceux-ci allumrent un incendie dans le cur du Malouin. La pauvre Gertrude n'avait que de magnifiques yeux bleus pleins de dvouement et de tendresse: madame Durbec exprimait l'effronterie, et la passion sensuelle dans les moindres mouvements de ses yeux noirs. L'orgueil, d'ailleurs, s'en mla; il poussa l'homme du peuple vers la grande dame; Gertrude fut sacrifie. Cependant la veuve de l'armateur tait trop ruse pour livrer sur-le-champ la place au corsaire. Martin n'avait encore que les abords de la place, et madame Durbec les dfendait avec un talent qui tmoignait une grande exprience. C'tait chaque jour de petits cadeaux offerts avec un acharnement que rien ne pouvait rebuter. Quand l'objet n'tait pas assez considrable pour emporter un engagement formel, la veuve acceptait elle refusait quand le prix du cadeau pouvait la compromettre d'une manire dfinitive. Pendant un mois elle joua ce jeu qui impatientait le corsaire, il n'est sorte de ruse qui, des deux parts, ne fut employe; mais le forban avait trouv son matre. La veuve tint en chec le capitaine, et pour parler la langue des marins; elle garda sur lui les avantages du vent. Cette passion, ainsi alimente et contenue, prit chez Martin un caractre d'obstination qui menaait d'aller jusqu' la dmence. Elle tait devenue une ide fixe; et si la veuve n'avait uni la rsolution de Judith l'adresse de Dalila, quelque violence aurait pu s'ensuivre. Mais madame Durbec n'avait peur de personne, pas mme d'un chef de flibustiers. Cette intrigue tait dans toute sa force quand Gertrude accoucha d'une fille, jolie enfant qui fut nomme Catherine. Dsormais la mre avait un appui contre le dlaissement, et, dans tous les cas, une consolation. Martin apporta cet vnement la chaleur qu'il mettait en toutes choses. La vue de son enfant le ravissait; ses premiers cris le remurent jusqu' l'me. Il la comblait de caresses, il tait aux anges: la jeune mre se rassura au spectacle de ces tmoignages d'amour. La paix semblait revenue dans le mnage; mais cette diversion dura peu: la passion oublie reprit bientt le dessus avec une force nouvelle, et le mange de la coquette recommena. Martin, cependant, au milieu des combinaisons stratgiques que lui inspirait le dsir de vaincre, crut avoir trouv un moyen d'en finir. Le baptme de sa fille allait avoir lieu: il rsolut de lui donner madame Durbec pour marraine. Ce titre, en dehors de la familiarit qu'il autorisait, lui offrait une occasion de continuer son systme de sductions sur une grande chelle. Dans un jour pareil, tout s'offre, tout s'accepte, les prsents les plus riches comme les plus vulgaires: c'est l'usage, il faut le subir. Ainsi calcula le capitaine; et, sans consulter sa femme, il en fit l'ouverture la belle veuve, qui donna sans hsiter son consentements. On songea donc au baptme; mais un long sjour terre avait puis les coffres du corsaire: il lui restait peine quelques milliers d'cus disponibles. Tant mieux! s'cria-t-il, l'Anglais payera les drages. Il fut convenu alors, qu'une croisire aurait lieu avant la crmonie, et que la dixime partie du butin serait consacre en faire quelque chose de fabuleux destin laisser des souvenirs dans la population de Saint-Malo: Comme la campagne, pouvait tre longue, la petite Catherine fut ondoye, et Martin ne songea plus qu' se mettre en mesure de paratre dignement devant l'ennemi. Le capitaine du Renard tait en premire ligne parmi les croiseurs du littoral armoricain, il venait aprs Duguay-Trouin, et marchait presque son gal. Les meilleurs marins briguaient l'honneur de s'embarquer avec lui; Toutes ses sorties avaient t fructueuses, et de magnifiques parts de prise les avaient couronnes; On savait que Martin tait juste pour ses hommes, et qu'il se serait fait un scrupule de s'approprier la moindre portion de ce qu'ils avaient vaillamment gagn. Ces qualits ralliaient autour du capitaine d'excellents quipages, des matelots de choix, intrpides, dvous. Au premier signal, ils accouraient, et en vingt-quatre heures Martin pouvait mettre l'agile cutter en tat de tenir la mer. Le dpart suivait ainsi de prs l'ordre de l'armement, et les indiscrtions taient djoues. Cette fois les choses furent conduites avec une clrit et une activit plus grandes encore. Une demi-journe suffit pour concevoir le projet et l'excuter. Le Renard drapa dans la nuit mme. Cette croisire avait une double importance aux yeux du capitaine Martin; il y poursuivait plus d'une conqute. Aussi jamais ne se montra-t-il plus vigilant, plus attentif. Il ne remettait personne le soin de surveiller l'horizon pour voir s'il ne recelait pas dans ses profondeurs quelque riche capture. Pilote habile de ces parages, il savait quel vent devait lui amener, des victimes et dans quelle direction les courants, si rapides en Manche, portaient les btiments. Une semaine pourtant se passa sans qu'aucune voile marchande se ft prsente. Des bateaux caboteurs, des barques de pche, rien qui valt un abordage. Il faut dire que l'audace des corsaires malouins avait pouvant le commerce anglais, et que peu de navires osaient s'aventurer dans cette mer troite. On l'avait trop battue; le poisson avait fui ailleurs. Jamais Martin n'avait vu son impatience si mal servie. On se trouvait alors dans la belle saison, et des calmes ou des briss folles enchanaient le cutter sur les mmes eaux. C'tait se dsesprer. Au risque de tomber entre les mains de btiments de guerre, Martin rsolut alors d'aller chercher du butin sur un autre thtre. Il avait entendu parler des galions espagnols qui revenaient de Porto-Bello ou de la Vera-Cruz, et s'en allaient verser Cadix les trsors mtalliques du Mexique et du Prou. L'ide de ces prises enflammait depuis longtemps sa pense. Ces galions taient, la vrit, arms de quelques canons, et monts par un nombreux quipage; mais on avait sur le Renard six caronades d'un fort joli calibre et soixante lurons qui ne comptaient jamais leurs ennemis. Martin n'tait pas trs-vers dans les calculs nautiques; mais il avait auprs de lui, comme second, un jeune homme plein de science et trs au fait de la navigation hauturire. Le cutter fit donc route vers le sud en se dirigeant de faon placer sa croisire entre les Aores et le dtroit de Gibraltar; chemin oblig des convois qui arrivaient des Indes occidentales. Si le Renard n'tait pas imposant comme dimension; il avait, en revanche, des qualits solides; il effleurait la vague et, au lieu d'en recevoir le choc, il la coupait avec une agilit merveilleuse. Il avait, comme disait Martin, fait un pacte avec la tempte. Par le travers du golfe de Gascogne, le btiment fut mis une rude preuve: un ouragan affreux l'assaillit, et, pendant trois jours, il fallut fuir devant les lments dchans. Le Renard lutta d'abord avec succs: mais les vents devenaient chaque instant plus furieux, la mer plus terrible. La mture, fort leve, comme dans tous les btiments destins la course, souffrait horriblement, et dans un coup de tangage le grand mt se fendit et vola en clats. Ce fut un cruel moment; la rsolution de l'quipage empcha seule qu'il ne ft fatal. On coupa les agrs qui retenaient les dbris, on courut aux pompes pour vider l'eau qui s'tait introduite dans la cale. L'un des canons, ayant rompu ses amarres, venait de briser le sabord; on eut toutes les peines du monde le retenir. Le soir du troisime jour, le Renard, nagure si coquet et si fringant, n'tait plus qu'un btiment dsempar, flottant sans voiles la merci de l'onde, et c'est peine si les bras de ses soixante hommes pouvaient affranchir une norme voie d'eau qui venait de se dclarer. Le capitaine Martin se sentait branl: jamais son courage n'avait t mis une plus rude preuve. La tempte semblait se calmer mesure que la nuit s'avanait; mais que faire avec un navire sans mt, avec un quipage employ tout entier au travail des pompes? Sa plus favorable chance tait alors de pouvoir regagner, tant bien que mal, Saint-Malo pour y rparer ses avaries. Or, quel chec et quelle humiliation! Rentrer les mains vides quand on s'tait tant promis! Renoncer des rves de galanterie, des projets de fte, la perspective d'une fortune nouvelle! C'tait pnible et pourtant forc. On ne pouvait rien se promettre de plus dans l'tat dsespr o l'on se trouvait. Martin faisait ces tristes rflexions sur le pont du cutter. Assis sur le couronnement, la tte appuye dans ses mains, il en tait venu former les plus noirs projets, et allait se laisser glisser la mer pour teindre ses douleurs dans un suicide furtif, lorsqu'en levant les veux il crut voir, peu de distance, une masse noire et opaque glisser sur les eaux. C'tait un monstrueux navire: personne bord du Renard ne l'avait aperu, tant la confusion tait grande. A l'instant. Martin prit son parti. On ne pouvait reconnatre quelle nation appartenait ce bois flottant; mais la France tant en guerre avec presque toute l'Europe, il y avait peu de chances de se tromper. Dans tous les cas, ami ou ennemi, il venait propos; c'tait ou un moyen de sauvetage ou une prise. Sans bruit, sans tumulte, le capitaine du Renard rassembla ses hommes et leur dit: Camarades, nous avons un mauvais plancher sous les pieds; en voici un autre qui parat plus solide; il faut qu'il soit nous avant deux heures. Chacun son poste, et que tout le mond fasse son devoir! Le cutter n pouvait plus gouverner assez lestement pour que l'abordage de btiment btiment ft praticable. Malgr l'tat de la mer, Martin rsolut de tenter un abordage avec ses chaloupes. Le navire en vue tait la cape et ne faisait que peu de chemin;-son attitude prouvait qu'il n'avait pas aperu le corsaire. Tout dpendait de la clrit de l'attaque, du silence des hommes, de la rapidit de leurs mouvements. En moins de cinq minutes, les embarcations se trouvaient flot; les marins, arms jusqu'aux dents, s'taient rpartis dans chacune d'elles. Comme le sort du Renard tait compromis par l'interruption du jeu des pompes, tout le monde l'abandonna, sauf y retourner aprs l'expdition. Les chaloupes se dirigrent vers la masse flottante, et arrivrent par son travers sans que personne bord part s'mouvoir: Cela s'expliquait. Le timonier seul tait rest sur le tillac; un navire la cape n'a plus de manuvre faire; l'quipage se reposait. Cette circonstance servit Martin au del de ses souhaits. Le premier, il monta sur le pont et courut aux coutilles. A sa vue, le marin plac au gouvernail fit rsonner un magnifique caraco, qui dnonait la nationalit du btiment surpris. --Amis, c'est un Espagnol! s'cria le capitaine du Renard. Vive la France! Les assaillants se prcipitrent vers les ouvertures par lesquelles leurs ennemis pouvaient sortir; ils espraient les surprendre, les enfermer, les forcer capituler. Malheureusement le capitaine espagnol avait entendu le premier, cri du timonier; et, pressentant le pril, il s'tait lanc vers ses armes, avait ralli ses officiers et gagn le gaillard d'arrire. Les matelots, de leur ct, taient parvenus s'ouvrir un chemin, et se rangeaient en bataille sur l'avant. Les forces taient peu prs gales de part et d'autre. Aussi le combat prit-il le caractre d'une boucherie. La nuit empchait de distinguer les amis des ennemis, et plus d'un coup, port par les Malouins vint frapper des compagnons d'armes. Pendant une heure environ on lutta ainsi l'aveugle. Martin venait de recevoir un coup de sabre qui, en lui fendant la joue, avait fait sauter un il de son orbite. Il gisait vanoui le long des bastingages. Son jeune et vaillant second prit le commandement et sut maintenir ses avantages. Quand les premires lueurs du jour vinrent poindre, le spectacle tait des plus douloureux, mais il constatait le triomphe des Malouins. Dix Espagnols seulement survivaient ce massacre nocturne. Vingt-cinq hommes du Renard taient tus ou hors de combat. Le pont ne formait plus qu'une mare de sang. Le capitaine espagnol tait mort bravement son poste. Au moment o Martin reprit ses sens, l'affaire tait termine, le succs acquis. Les restes de l'quipage espagnol s'taient rsigns; ils ......Buy Now (To Read More)

Product details

Ebook Number: 47984
Author: Reybaud, Louis
Release Date: Jan 16, 2015
Format: eBook
Language: French

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