Les Aventures d'un fifre

Les Aventures d'un fifre

Les Aventures d'un fifre. LES AVENTURES D'UN FIFRE. I Le souterrain. La soixante-neuvime demi-brigade tait cite en...
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Author: Reybaud, Louis,1799-1879
Format: eBook
Language: French
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Author: Reybaud, Louis,1799-1879
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Language: French

Les Aventures d'un fifre.

LES AVENTURES D'UN FIFRE. I Le souterrain. La soixante-neuvime demi-brigade tait cite en gypte pour son corps de musique, l'un des mieux exercs de l'arme expditionnaire. Sous la rpublique, cette branche de l'art n'tait pas cultive comme elle l'est aujourd'hui o chaque rgiment possde un vritable orchestre, arm d'instruments vent harmonieux et de cuivres sonores. Quand les clarinettes ne jouaient pas trop faux et que la grosse caisse battait en mesure, on croyait avoir des artistes parfaits. Un bon fifre surtout tait regard comme la dernire expression de la musique militaire, et c'tait qui se procurerait ce phnix rare et recherch. Sous ce rapport, la soixante-neuvime ne laissait rien dsirer: son fifre passait pour l'une des merveilles du genre. Dans les srnades de la place de L'Ezbki, o logeait l'tat-major, c'tait lui qui excutait, les solo, et il s'en acquittait avec un talent qui lui valut plus d'un illustre suffrage. Quand l'entrepreneur du Tivoli gyptien voulait organiser une fte dansante, il commenait par s'assurer la collaboration du fifre de la soixante-neuvime. Plus d'une fois, Bonaparte lui-mme le fit appeler pour charmer les loisirs de la dame de ses penses. Le fifre, il faut le dire, mritait ces honneurs. Ce n'tait pas un artiste ordinaire, excutant machinalement quelques vieux airs sur le mode aigu. Il avait un rpertoire vari et se piquait de tenir la demi-brigade la hauteur des partitions rcentes. La Marche des Tartares de Kreutzer, les churs de Paul et Virginie lui taient familiers. Quand il touchait la musique ancienne, c'tait en connaisseur. Il demandait des motifs l'Orphe et l'Alceste de Gluck, la Didon de Puccini, aux bons opras de Lulli et de Rameau, et ne se privait pas de mettre le Devin du village en variations. Jamais fifre ne fut mieux dou par la nature. On le connaissait dans la demi-brigade sous le nom de Roquet. Il est possible que ce ne ft pas l son nom vritable; mais personne ne lui en donnait d'autre. C'tait un enfant de troupe qui avait t lev dans la chambre, petit de taille et peut-tre un peu nou: de l lui tait venu son sobriquet. Roquet avait fait les premires campagnes du Rhin comme l'enfant de l soixante-neuvime. Quand il eut douze ans, le major lui fit cadeau d'un fifre, et, au bout de huit jours, il en tirait dj des sons satisfaisants. La demi-brigade rendit justice cette vocation, prcoce, et, aprs un mois d'exercice, Roquet tait incorpor comme second fifre. A quinze ans, il passa premier fifre; c'tait son bton, de marchal. Ds ce moment l'amour de son art le domina tout entier. Dans, les premiers jours qui suivirent l'occupation du Caire, l'aspect de la ville et des environs dfraya la curiosit du soldat. Ce qui surtout attira les visiteurs, ce furent les colosses en pierre dont Bonaparte avait voqu le souvenir, au moment de la bataille dcisive qui lui livra l'gypte. Presque tous les corps allrent leur tour contempler ces pyramides assises sur les confins du dsert et dj atteintes par les envahissements des sables. Leur masse imposante semblait planer sur ces solitudes et marquer la place o fut cette Memphis, que dvastrent Cambyse et Amrou. Tout cet espace est aujourd'hui frapp de strilit et en proie la dvastation. Quelques bouquets de palmiers et d'acacias pineux (l'acanthe des gyptiens) varient seuls la monotonie et la tristesse du paysage. Sur cette lande, aujourd'hui si nue, s'leva pourtant l'une des plus grandes capitales du monde ancien, et l, o quelques villageois pars, vgtent peine, vivaient autrefois deux cent mille mes dans une enceinte couverte de palais. Ainsi disparaissent les villes comme les peuples; le temps emporte jusqu'aux vestiges des civilisations qui ont accompli leur tche. Au del de Memphis et en remontant le Nil se trouve, la limite mme de la vieille capitale, une seconde ncropole non moins curieuse que celle des grandes pyramides de Gizh. On la nomme indiffremment la Plaine des Momies ou la Plaine de Sakkarah. Gizh formait le camp des morts du ct du nord, Sakkarah du ct du midi. D'autres pyramides moins leves, mais plus nombreuses, attestent cette destination. Aucun lieu n'offre plus d'intrt. C'est de l ou des hypoges de la haute gypte que l'on a tir ces momies, qui sont devenues l'objet d'un commerce en Europe. Commerce singulier, qui peuple nos muses de corps desschs sous leurs bandelettes, et qui n'entrait probablement pas dans les calculs de ceux qui se firent embaumer de la sorte! Aujourd'hui, grce cet esprit de conservation, de graves hirophantes, morts, il y a quatre mille ans, dans la valle du Nil, se trouvent transports, sur les bords de la Seine, et trouvent dans nos muses une place d'honneur laquelle ils ne songeaient gure de leur vivant. La plaine de Sakkarah a t, dans tous les temps, le thtre de spculations tranges. Une masse norme de puits, de souterrains, de pyramides, de cryptes, s'y offre aux profanateurs de spultures. L'usage grec, qui en cela, dit-on, n'tait que la suite d'un usage gyptien, voulait que l'on mt dans la bouche de chaque mort une pice de monnaie, reprsentant l'obole due Charon, le cocher des enfers. Les Arabes, qui ont peu de respect pour les traditions mythologiques, ont dcouvert, il y a longtemps, cette particularit, et l'on trouve aujourd'hui dans ces champs de repos peu de cadavres qui n'aient la mchoire-brise. Un autre trafic est celui des oiseaux sacrs, auxquels, tait consacr un immense puits qui l'on connat aujourd'hui encore sous le nom de puits des oiseaux. C'est de l que nous viennent ces ibis empaills qui font l'honneur des riches collections de l'Angleterre et du continent. La plaine de Sakkarah se trouve ainsi parseme tout entire d'ouvertures plus ou moins profondes qui, les unes horizontales, les autres perpendiculaires, donnent accs vers des galeries souterraines communiquant entre elles. Quoique cette plaine ft situe six lieues du Caire, cependant elle tait l'objet d'excursions nombreuses. Le corps de musique de la soixante-neuvime eut l'occasion, de s'y rendre en faisant la conduite au gnral Desaix qui s'embarqua sur le Nil pour rejoindre sa division alors en marche vers la haute gypte. Plusieurs barques ou djermes avaient t employes ce transport, et l'une d'elles portait l'orchestre flottant. Roquet en tait l'me, et jamais il ne montra tant de verve. Ce large fleuve sur lequel l'escadrille glissait, ces rives couvertes de beaux sycomores, cette longue suite d'les qui forment un archipel de verdure, tout contribuait exciter l'enthousiasme musical de l'artiste: il se surpassa. Les ombres des pharaons Chops et Mycrinus durent tre charmes par des variations sur la Marseillaise et le Chant du dpart, comme jamais fifre humain n'en avait cadenc. Le trajet fut ainsi abrg, et grce un vent favorable, trois heures aprs le dpart du Caire, on se trouvait en face de la plaine de Sakkarah. L s'arrtait l'itinraire du corps de musique. Desaix poursuivit seul sa route vers la haute gypte. Quant l'escorte instrumentale, elle voulut avant que de reprendre le chemin du Caire, jeter un coup d'il sur les antiquits de cette ncropole. On dbarqua donc les artistes sur le rivage en leur accordant une heure pour satisfaire leur curiosit. Ils se rpandirent joyeusement dans la plaine couverte de pyramides ruines, les unes en brique, les autres en grs-brche, celles-ci de trois cents pieds de haut, celles-l dpassant peine la taille d'un homme. Il faut croire que c'tait l, chez les gyptiens, une manire de mesurer le rang du dfunt. Les pyramides des Pharaons, souverains de la contre, avaient quatre cents pieds de hauteur; les pyramides de leurs sujets devaient tre d'une lvation moindre et proportionne leur importance. Aprs les rois venaient les prtres, puis les guerriers, puis les artistes, ensuite les autres classes, dans l'ordre de leur fortune et de leur condition. Ceux qui ne pouvaient pas aspirer aux honneurs de la pyramide se contentaient d'une place dans les caveaux souterrains o les cadavres embaums taient rangs contre la muraille. A de certaines poques de l'anne on descendait dans ces catacombes, et la gnration vivante y excutait une procession aux flambeaux au milieu de ces gnrations mortes. On s'est souvent demand si cet embaumement, universel chez les gyptiens, ne prenait sa source que dans une pratique religieuse, ou s'il fallait en rapporter l'origine quelque mesure d'hygine. Le fait est qu'aujourd'hui, dans cette valle autrefois clbre par sa salubrit, rgne un flau qui semble y avoir tabli son sige. La peste, avec les caractres qu'on lui connat, est ne en gypte, et c'est toujours du littoral gyptien qu'elle rayonne sur le reste de l'Orient. Dans aucun autre pays du monde on ne retrouve un mal semblable avec les accidents qui le distinguent. Or qui nous dit que l'embaumement des corps n'avait pas t dtermin autrefois par les inconvnients de l'inhumation dans un sol d'alluvion, et ne se pourrait-il pas que la peste ft issue de la dsutude de cette mthode? Les gyptiens taient un peuple grave, et observateur; ils ne faisaient rien sans rflexion, sans dessein, sans motif. Dans ce cas, les moyens prventifs de la peste se trouveraient principalement dans un autre systme d'inhumation que celui qui est aujourd'hui en vigueur en Orient. Si le procd d'embaumement sur une grande chelle est impossible dans l'tat de civilisation de ces contres, on pourrait avoir recours des moyens plus simples et moins coteux. L'incinration paenne avait cela d'avantageux quelle faisait disparatre toutes les exhalaisons dltres; son seul inconvnient tait d'enlever le corps du dlit, en cas de crime. Qu'on nous pardonne ce hors-d'uvre! Il est croire qu'aucune de ces rflexions ne fut suggre, par l'aspect de la ncropole, aux clarinettes, aux chapeaux chinois et aux cymbales de la soixante-neuvime. Ils visitrent le champ du repos en vritables profanes, gravirent les pyramides, cherchrent pntrer dans les souterrains accessibles, d'o ils enlevrent quelques dbris de momies, des bandelettes, des plumes d'oiseaux et ces petites poteries rouges que l'on trouve en abondance dans toutes les tombes anciennes. Rien de particulier n'avait signal cette petite maraude, quand, au coin d'un tertre que surmontaient quelques acacias, un cri se fit entendre. C'tait le fifre Roquet, qui venait de s'engloutir dans un puits dont un large cprier masquait l'ouverture. Le malheureux avait, mis le pied sur la plante rampante, croyant qu'elle couvrait un terrain solide, et il s'tait abm dans un gouffre de quarante pieds de profondeur. A la premire alerte tous ses compagnons accoururent. Avec le tranchant du sabre on eut bien vite dbarrass l'ouverture du feuillage parasite qui l'obstruait, et l'on reconnut un orifice de six pieds de circonfrence, destin videmment servir de soupirail ces catacombes. Une obscurit profonde empchait de rien distinguer au fond du puits; mais il tait facile d'entendre des gmissements plaintifs qui prouvaient que le pauvre fifre s'tait bless dans sa chute. On l'interpella diverses reprises, sans obtenir de rponse. Enfin, il parvint s'expliquer. Grce divers obstacles qui avaient amorti le coup, Roquet en tait quitte pour quelques contusions. Remis de cette terrible secousse, il put se lever et s'assurer de l'tat des lieux. En ttant les parois de sa prison, il s'assura qu'elle tait mure de toutes parts et qu'elle n'offrait aucune issue. Le seul moyen de sortir de ce cachot tait donc de regagner l'ouverture par laquelle il avait t prcipit. Mais comment tenter cette ascension prilleuse? On essaya divers expdients. En premier lieu le fifre chercha reconnatre s'il ne serait pas possible de remonter vers le soupirail l'aide des asprits et des saillies que pouvaient offrir les murs du souterrain. Tous ses efforts furent vains: dans la partie infrieure les parois taient lisses et ressemblaient celles de la citerne o Joseph fut jet par ses frres; peine put-il s'lever une hauteur, de deux ou trois pieds; au del les points d'appui lui manquaient: On comprit ds lors que son salut ne devait venir que d'en haut. Les imaginations se donnrent carrire. On n'avait pas de cordes, mais en ajoutant les uns aux autres les mouchoirs des musiciens on parvint en confectionner une qui fut descendue, dans le souterrain. Elle n'arrivait pas au fond; cependant, force d'lans, Roquet parvint en saisir l'extrmit, et il s'y suspendit avec l'nergie d'un homme bout de ressources. Ses compagnons, le sentant cramponn, commencrent tirer eux la corde artificielle, avec toutes sortes de prcautions; mais peine le pauvre fifre se trouvait-il quinze pieds du sol, que le lien se rompit et le fit rouler de nouveau au fond de son caveau, plus meurtri et plus disloqu qu'auparavant. Impossible de renouveler la mme exprience aux dpens des membres et de la vie du prisonnier. Les barques taient une demi-lieue de l; quatre musiciens se dtachrent pour aller chercher l'un de ces cordages en sparterie qui font partie de l'quipement de toute marine arabe; les autres restrent sur les lieux en rassurant le pauvre fifre contre l'abandon et l'exhortant la patience. Roquet commenait voir clair dans son cachot. On sait quelle lucidit acquiert la vue mesure qu'elle s'habitue aux tnbres. Ainsi, peu peu, il apercevait une foule d'objets qui, jusque-l, lui avaient chapp. Le souterrain tait plus vaste qu'il ne l'avait cru d'abord; sa forme tait celle d'une citerne dont le cerveau se serait arrondi en vote. Elle ne semblait pas avoir servi des inhumations, car aucun dbris humain ne jonchait le sol. Tous les revtements taient achevs avec un soin infini, et rien n'avait t pargn pour en faire une habitation convenable; seulement les htes y maquaient On n'y remarquait pas mme les traces du passage de flambeaux, qui sont le caractre distinctif de tous les hypoges et de toutes les cryptes de l'gypte. La visite aux morts, dans des jours solennels, tait de crmonial strict dans l'ancienne religion des hirophantes; et telle est la paissance de conservation de ces souterrains, que la fume, laisse par les torches, il y a plus de trois mille ans, y subsiste encore. Cependant, force de fureter dans les recoins de sa prison, Roquet finit par dcouvrir une issue entirement masque par un retour de la muraille.. C'tait un couloir, troit dans lequel; tout grle qu'il tait, il ne put s'engager sans effort. Une crainte instinctive le retenait d'ailleurs: il craignait de rencontrer de nouvelles chausse-trapes et de descendre ainsi d'tage en tage, jusqu'aux entrailles de la terre. Toutefois la curiosit l'emporta. En s'effaant un peu, il parvint franchir le corridor, qui s'largissait graduellement, et arriva ainsi dans une longue galerie qu'clairaient des soupiraux placs de distance en distance et disposs de la mme manire que celui par lequel il avait fait la culbute. Cette galerie tait peuple: deux longues files de momies adosses aux murs semblaient diriger sur les visiteurs importuns des yeux fixes et svres. Roquet n'tait pas poltron; il allait bravement au feu; le sifflement des balles, le bruit du canon ne l'intimidaient pas. Pourtant il eut peur. La mort ne lui tait jamais apparue sous cet aspect, avec ce cortge de reprsentants. Seul vivant au milieu de ces cadavres, il se peupla l'esprit de fantmes, crut voir leurs yeux s'animer; leurs ttes se mouvoir. Le silence mme de ces catacombes l'pouvantait; il regrettait les risques des champs de bataille. On sait combien la peur est ingnieuse. Roquet eut recours tous les expdients qu'elle suggre. Il toussa, se moucha, se parla tout haut. Il appela par leurs noms ses camarades du corps de musique. Sa voix ne parvint pas jusqu' eux, et ils ne purent lui rpondre. Il voulait alors revenir sur ses pas, mais une force presque invincible semblait le tenir enchan; on et dit qu'il ne voulait pas donner ces momies le spectacle de sa fuite et qu'il craignait d'tre poursuivi par leurs ricanements. Alors une ide lui vint: il avait son fifre en poche, il se rsolut excuter une srnade d'un style franais en l'honneur de ces vnrables sujets des Pharaons. Ce petit concert avait le double avantage de le distraire de ses frayeurs et de mettre ses camarades sur la trace de son Odysse souterraine. Il prluda donc par la Marche des Tartares; et un certain perl, rsultat de l'motion intrieure, donna son excution des qualits toutes nouvelles. On l'avait entendu d'en haut, on le suivait: le fifre indiquait sa position. Roquet, plus rassur, se surpassa, il fit des merveilles; il puisa les richesses de son rpertoire, depuis le Roi Dagobert jusqu'au Charon t'appelle, clbre chur de l'Alceste, de Gluck. Vers les dernires modulations de cet air sinistre il lui sembla que les momies de la galerie s'agitaient; et, s'effrayant du succs de son vocation, il commena jeter autour de lui des regards moins assurs. Peu peu il s'tait produit, en effet, comme une rvolution parmi ces cadavres placs dans l'ombre la plus recule; et, au moment o le pauvre fifre rpondait l'appel de ses amis du dehors qui arrivaient avec de nouveaux moyens de sauvetage, des yeux vivants se fixrent sur lui, deux bras nerveux le saisirent et l'entranrent dans un souterrain contigu o ne pntrait pas la moindre clart. Ds lors, ce fut vainement que du dehors on appela Roquet, Roquet ne rpondit plus. Deux amis dvous, une clarinette et un triangle, se firent descendre par une corde dans le souterrain, le parcoururent dans tous les sens, visitrent les moindres dtours: Ils ne purent rien dcouvrir. Un instant, dans la direction d'un caveau sombre, ils crurent entendre quelques mesures de l'air favori de la victime: Non! non! Colette n'est point trompeuse du Devin; ils marchrent de ce ct, arms de grandes torches, cherchrent avec la plus minutieuse attention, redemandrent Roquet ce labyrinthe sombre. Soins inutiles! Roquet avait disparu. II Le dsert. Voici l'explication de l'enlvement du fifre Roquet. Longtemps l'arme d'gypte en fit l'objet de versions surnaturelles. Le triangle et la clarinette, descendus pour le secourir, mlrent leur rcit un peu de fantasmagorie, afin de se donner un certain relief de courage. L'exagration ne gte rien au dvouement. Le triangle prtendait avoir aperu une bande de dmons qui avaient attir le fifre dans un gouffre o il s'tait abm avec eux. La clarinette, esprit fort, attribuait sa disparition l'une de ces portes secrtes qui se ferment d'elles-mmes sur les visiteurs imprudents. Mais tout le corps de musique et l'arme s'accordaient dire que Roquet, la perle des fifres, tait mort. La soixante-neuvime demi-brigade lui donna un remplaant. On se trompait, pourtant; Roquet vivait encore. On a vu que les Arabes frquentent les tombeaux de la plaine de Sakkarah; personne mieux qu'eux n'en connat la topographie souterraine: Presque toutes ces galeries se communiquant entre elles et forment un labyrinthe mystrieux, dont les dtours et les ouvertures sont familiers aux tribus nomades de la Libye. Cette ncropole a plusieurs issues vers le dsert; et, quand les Bdouins prvoient que le simoun va souffler, ils accourent avec leurs tentes et se dcident vivre pendant quelques jours en troglodytes, au sein de ces catacombes. Le hasard avait voulu que l'une de ces peuplades habitt ces souterrains quand Roquet s'y laissa choir. Si l'artiste n'et pas voulu faire preuve de ses talents sur le fifre et charmer les momies d'alentour, il est probable qu'on ne se ft pas aperu de sa prsence; mais les sons de l'instrument attirrent les naturels, qui s'emparrent du malheureux musicien et le drobrent facilement aux recherches. Roquet n'tait donc pas mort, mais il se trouvait la merci des Arabes, ce qui n'tait gure plus rcratif. Le fanatisme est grand parmi ces tribus, et, au moment o cette aventure arriva, la terreur de nos armes ne les contenait pas encore. Aussi leur; premire pense fut-elle pour les moyens violents. Ils voulaient immoler le prisonnier, les uns par prjug religieux, les autres par prcaution. La jeunesse de Roquet le sauva. Les femmes de la tribu intercdrent pour lui: il fut pargn. Le cheik l'attacha son service, et le pauvre fifre eut bientt, se dfendre de ses bonts non moins dangereuses que ses rigueurs. La tribu entre les mains de laquelle il tait, tomb tait celle des Hennadis, l'une des plus puissantes du dsert libyque. Une fraction seulement avait pouss une reconnaissance vers le pays cultiv; le reste campait deux journes de chemin du Nil, dans la valle du Fleuve sans eau. Quand la nuit fut venue, le cheik abandonna la ncropole souterraine avec ses gens et ses femmes, et prit la route du grand dsert. Qu'on juge des inquitudes de notre hros. Livr des destines inconnues, la merci des bandits, dont il connaissait les habitudes vagabondes, qu'allait-il devenir? La vie lui restait; mais c'tait une vie d'esclave, errante, en butte toutes sortes de privations. Tant que dura l'tape nocturne, le sentiment de sa situation s'effaa pour ainsi dire; mais quand le jour parut, quel spectacle s'offrit lui!... Il tait au milieu d'une centaine de Bdouins arms de piques, de sabres et de fusils: de quelque ct qu'il jett les yeux, il ne voyait que des figures peu rassurantes, enveloppes de burnous blancs. On et dit une troupe de fantmes. A ses cts, et montes sur des nes, cheminaient les femmes, vtues d'toffes brunes. Quelques chameaux portant des provisions terminaient la caravane, et on l'avait juch sur le cou de l'un de ces animaux. Pauvre fifre de la soixante-neuvime! Le mouvement de la bte lui occasionnait des nauses semblables au mal de mer, tant il est vrai que le chameau justifie de toutes les manires son surnom de vaisseau du dsert. Puis, quelle perspective! On tait en pleine Libye... Les ondulations du sable variaient seules la monotonie de cet horizon qui avait la couleur de l'ocre; le soleil montait dans le ciel et commenait chauffer l'arne qui tincelait sous ses rayons. La chaleur tait telle, qu'il et suffi d'enfoncer un uf dans le sable pour le voir se cuire l'instant. Point d'eau, point de gazon, point d'arbres. Seulement quelques palmiers grles de loin en loin et servant comme de jalons dans ces solitudes. Roquet tait ananti. Cette atmosphre le suffoquait, ce sol jauntre lui envoyait des rverbrations insupportables, son chameau mme lui tait odieux. Trois fois il se laissa tomber volontairement, trois fois on le ramassa demi-mort. Enfin, l'aide d'une corde, on le fixa sur sa bte comme un vritable patient. Au premier puits on fit une halte: il y avait l quelque ombre et un peu de fracheur. Un grand figuier et trois sycomores avaient pris racine dans ce lieu sauvage, et y disputaient aux hommes le petit nombre de gouttes que contenait cette coupe d'eau. On dtacha Roquet de dessus sa fatigante monture: on le convia au repas commun, qui se composait de dattes et de galettes dessches. Ce que c'est que la nature humaine! Ds que le fifre put respirer plus l'aise, l'apptit lui revint, et il fit l'ordinaire des Bdouins plus d'honneur qu'on n'aurait d s'y attendre. Ce retour fut compris par le cheik, qui tmoigna ds lors plus d'gard son prisonnier. On lui pargna le supplice que causent les allures du chameau ceux qui n'y sont pas habitus; on lui donna monter un fort joli cheval. Son habit de drap, dont les boutons de mtal tentaient la cupidit des Arabes, son chapeau lui furent enlevs mais, en revanche, on l'affubla d'un excellent burnous, qui le dfendait contre les ardeurs du soleil, et, au besoin, lui garantissait le visage. Dans l'une des poches du frac d'uniforme se trouvait son fifre, qu'il dfendit bravement contre ses dtrousseurs. Un Bdouin s'en tait empar et l'examinait avec curiosit. Roquet se jeta sur lui pour le reprendre, et une querelle allait s'ensuivre, quand le cheik intervint. Il se fit remettre l'objet du dbat, et parut fort intrigu de sa forme. Le bois de l'instrument ne sduisait personne, mais il n'en tait pas de mme d'une petite clef en cuivre tincelant comme l'or. Roquet rsolut de vider le diffrend par une preuve dcisive. Il donna entendre au cheik qu'il allait montrer la tribu l'usage de cet ustensile trange pour elle; et quand il s'en trouva de nouveau nanti, il l'emboucha et prluda par une des mlodies les plus expressives: J'ai perdu mon Eurydice, de l'Orphe de Gluck. Ces sons imprvus produisirent l'effet d'un coup de thtre. A l'instant mme, l'artiste fut entour par toute la caravane; on l'excitait de la voix, on l'encourageait du geste. Tous les yeux taient devenus bienveillants, toutes les physionomies riantes. Tantt la surprise se manifestait par un silence profond, tantt l'admiration clatait dans une explosion bruyante. Roquet avait gagn sa cause: il comprit que son fifre tait dsormais une puissance. Cependant, le signal du dpart ayant t donn, on s'enfona de nouveau dans la Libye. Cet ocan de sables semblait n'avoir pas de fin. Aucun tre vivant n'en animait l'aspect, si ce n'est, de temps autre, un troupeau de gazelles qui fuyaient en bondissant, ou quelque autruche ouvrant ses ailes, comme un navire ses voiles, pour se drober plus vite aux regards. Aux journes brlantes succdaient des nuits glaciales; la rose baignait les tentes, traversait les burnous les plus pais. La moindre imprudence tait punie par des douleurs cuisantes dans les yeux, souvent mme: par l'ophthalmie. C'tait l de cruelles preuves pour un Europen; notre hros les supporta avec courage. Enfin, aprs quatre jours de marche, on rejoignit le gros de la tribu, qui se composait de quatre cents tentes. Elle campait alors dans un petit vallon tapiss de broussailles et ombrag par un bouquet d'arbres. Une source coulait de la base du rocher et fournissait une eau potable, quoiqu'un peu saumtre. Ce vallon tait situ au-dessus des lacs de Natron et dans le voisinage des monastres cophtes, qui, de temps immmorial, occupent cette zone du dsert. Quand la tribu manquait d'eau ou de vivres, elle poussait une reconnaissance vers l'asile de ces religieux, qui prfraient lui payer un tribut forc plutt que de s'exposer sa vengeance. La tribu tait: d'ailleurs l'une des plus puissantes de la Libye; elle possdait six cents chevaux, cent chameaux, autant de dromadaires, des moutons, des chvres, des volailles en grande abondance. Presque toujours la moiti des cavaliers, tait en maraude pendant que l'autre moiti se reposait. Le camp devenait l'entrept gnral des objets pills, et c'est l que s'en faisait le partage. L'adoption de Roquet par le cheik principal, et son talent sur le fifre, qui, de plus en plus, merveillait la peuplade, lui firent sur-le-champ une situation tolrable et une vie qui n'tait pas sans charme. A part la libert, il ne lui manquait rien. Son matre l'avait attach au service intrieur de sa tente, service facile, dans lequel il aidait les femmes. Il allait puiser de l'eau la source; pilait le doura, espce de millet avec lequel les Arabes confectionnent leur pain; prparait le pilaw de riz, battait le lait de chamelle pour le convertir en beurre. L'ordinaire de la maison n'tait pas trs-somptueux; mais, la rigueur, il pouvait suffire. On avait du riz, des dattes, des galettes de doura, du bl, des fves; une fois par semaine, on tuait un mouton ou quelques volailles. L'artiste de la soixante-neuvime possdait quelques talents en cuisine; il les mit la disposition de son matre et apprta plusieurs mets; l'europenne. Cette exprience gastronomique fut moins heureuse que ses tentatives musicales. Le cheik gota peu les recettes du jeune Franais; il leur prfrait son riz tuv la manire asiatique. Mais le fifre eut en revanche un long succs. Chaque soir, dans ces veilles arabes o, partags entre la pipe et le caf, les principaux de la tribu prtent l'oreille leurs conteurs, l'artiste avait constamment un rle jouer. C'tait, un jour, une marche brillante; l'autre jour, un adagio ou un cantabile plein de mlancolie. En gnral, les auditeurs prfraient une musique lente une musique vive. Les airs langoureux, et mme monotones, les charmaient par-dessus tout. Pour les servir selon leur got, le fifre de la soixante-neuvime se mit apprendre plusieurs de ces chants arabes que l'on nomme des moals, et qui sont une espce de rcitatif compos de notes plaintives. Roquet transporta ces moals sur son instrument, et il fut ds lors un barde incomparable. Cependant la captivit commenait peser au troubadour des Hennadis. Comme Achille Scyros, il s'indignait de languir dans ce camp et d'y partager les travaux des femmes. Le souvenir de ses frres d'armes le poursuivait, et il ne rvait qu'aux moyens de les rejoindre. Pour y parvenir, il demanda d'abord au cheik la faveur d'aller en course avec les maraudeurs de la tribu. Comme ces excursions les conduisaient vers la lisire des terrains cultivs, il lui et t facile de choisir alors un moment pour s'esquiver et regagner les rives du Nil. Le cheik comprit ce calcul et le djoua. Le Franais tait trop jeune, disait-il, pour supporter les fatigues du dsert. Il ne savait pas manier la lance; il n'tait pas encore assez bon cuyer. D'ailleurs, que lui manquait-il? N'avait-il pas du pain et des dattes, un burnous pour se couvrir, une tente pour se reposer? Roquet avait beau insister: le cheik persistait dans ses refus. On lui permit pourtant de monter cheval, de s'exercer au djrid, de courir la gazelle. Du service domestique, il pt passer au soin de ces magnifiques poulains qu'lvent les Arabes. C'tait un avancement; mais ce n'tait pas la libert. Quelquefois il songeait fuir; mais de quel ct se diriger, sans vivres, sans eau, sans aucune connaissance des routes du dsert, mobiles comme ses sables? Quand ces penses s'emparaient du captif, il tombait dans la tristesse et dans l'abattement. Une distraction imprvue lui arriva. La femme favorite du cheik, nomme Fatm, belle brune de vingt ans, avait remarqu depuis longtemps la bonne mine du jeune Franais. Roquet n'tait point un Adonis, bien s'en faut; mais il avait des yeux bleus, des cheveux blonds et un certain air jovial qui n'tait pas sans charme. D'ailleurs, pour une femme arabe, c'tait du fruit nouveau, et toutes les filles d've se ressemblent. Fatm fit donc au jeune homme les premires avances avec une adresse infinie, mais cependant de manire ce qu'il ne put s'y mprendre. Les tentes des Bdouins, faites d'une toffe tisse avec du poil de chameau, ont une vingtaine de pieds de long sur quinze de large et se trouvent, dans le milieu, partages par un rideau qui spare la pice des femmes de celle qu'occupent les hommes. Quand Roquet tait seul, Fatm ne le perdait pas de vue, et, grce une ouverture qu'elle avait eu le soin de se mnager, ces illades ne pouvaient pas la compromettre. Le Franais en tait l'unique, complice. Roquet tait bien jeune, mais l'cole d'un rgiment et en temps de guerre l'exprience arrive vite. Il comprit donc le mange et prvit o il pouvait aboutir. Cette perspective l'effraya. Les Arabes ne plaisantent pas au sujet de l'adultre: la mort des coupables expie le crime quand il est dcouvert. Certes, il y avait l de quoi retenir le sducteur le plus hardi. D'un autre ct, Fatm tait bien belle. Elle avait, pour parler la langue des Arabes, des yeux fendus en amande comme ceux de la gazelle, des sourcils arrondis comme un arc d'bne, la taill souple et droite comme une lance, les seins pareils une couple de grenades, la peau unie comme de la soie, le sourire doux comme le miel. Ses ongles taient teints avec du henn aux reflets d'or, ses paupires avec du kohl, noir comme la plume de corbeau. C'tait, en un mot, le type idal de la perfection, la beaut du pote H ......Buy Now (To Read More)

Product details

Ebook Number: 47986
Author: Reybaud, Louis
Release Date: Jan 16, 2015
Format: eBook
Language: French

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