L'Illustration, No. 3671, 5 Juillet 1913

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L'Illustration, No. 3671, 5 Juillet 1913 Ce numro contient: 1 Un portrait hors texte en couleurs: Henri...
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L'Illustration, No. 3671, 5 Juillet 1913

Ce numro contient: 1 Un portrait hors texte en couleurs: Henri Rochefort, par Marcel Baschet; 2 LA PETITE ILLUSTRATION, Srie-Thtre n 12: Vouloir, de Gustave Guiches; 3 Un Supplment conomique et financier de deux pages. SOLDAT GREC. SOLDAT BULGARE. LES ALLIS D'HIER Allis sans tre amis, ils gardaient ensemble, se surveillant l'un l'autre, le port de Salonique: mais cette coopration avait trop dur et, le 30 juin, les Bulgares taient aux prises Salonique avec les Grecs, en mme temps qu'avec les Serbes dans la valle du Vardar.Voir l'article, page 7. COURRIER DE PARIS APRS LA PISANELLE S'il est vrai que c'est surtout aprs qu'ils ont vcu qu'il faille clbrer ceux que nous avons aims, ainsi ce sera quand elles sont accomplies que nous devrons, par la louange, entretenir les belles choses qui nous ont touchs. D'ailleurs on s'exprime mieux aprs que pendant, et c'est la perte qui fait l'loquence. Quand tout le monde a parl de ce dont il fallait qu'on parlt pour obir aux ncessits de l'instant, que chacun, avec la prodigalit du geste, a jet son mot dans la fivre et la hte aussi de l'motion premire, il n'est pas inutile ni mauvais qu'une voix, quelconque, pourvu qu'elle soit frmissante et mnage, prononce--dans le silence qui tend s'tablir et qu'elle ne veut pas laisser faire--un hommage dtach, un hommage qui, pour s'tre exprs retenu, accepte d'avoir l'air tardif lorsqu'il tinte son heure. Et c'est pourquoi, maintenant que sont tirs sur la Pisanelle, dans notre mmoire empourpre, les orfrois des quadruples et lents rideaux au travers desquels nous continuons de voir l'inoubliable spectacle qui se prolonge, il m'est la fois vif et chaud d'y revenir, d'en reparler, comme on tisonne des braises pour en faire un gupier d'tincelles, comme on irrite une splendide toffe pour l'entendre bruire avec ces hardis craquements qui sont le cri, l'me de sa couleur, ou bien comme on la froisse et la maltraite pour y agacer des reflets, ou encore comme on s'efforce, en fermant les yeux pour mieux regarder, de retrouver en soi, aprs coup, un paysage dispers, un aspect de la vie en fuite, une minute antrieure d'art et de magnificence. ** * M. Gabriele d'Annunzio, escort, flanqu, comme un jeune podestat de la lgende et du rve, d'une suite de magiciens somptueux et aviss, et marchant en compagnie d'une princesse de la Tyrannie esthtique et de la Volont, nous a procur en effet, avec son oeuvre rcente, un blouissement et un enchantement qui durent, qui coulent toujours, bien au del de la soire trop petite pour les tenir et les renfermer. Je ne pense pas que l'on ait dj renonc se rappeler ces instants de satisfaction presque parfaite et si je dis presque, c'est pour ne pas dcourager de la rcidive ceux qui nous devons la faveur de miracles pareils. Du pome dramatique de d'Annunzio, manifestement fou d'amour, le premier, de la Pisanelle, avant tous ses personnages, comment ne pas admirer la symbolique et vigoureuse grce, l'imagination, de richesse inpuisable et pourtant toujours dborde, le sens ingnu enfin, simple et profond, qui se lit avec autant de clart qu'un sentiment pur fleur de candides prunelles? D'une inspiration nave et populaire, le sujet tient en quelques mots qui droulent et animent le plus merveilleux des contes. C'est l'histoire d'une pauvre fille de Pise, une crature de plaisir et de joie que sa beaut, dont elle est innocente, a prdestine aux aventures passives de l'amour. Elle n'a qu' paratre pour dsordonner les hommes et les enflammer d'une passion dont le principe correspond leur soif d'idal, d'une passion qui les exalte alors mme qu'elle les rabaisse, et qui transforme leur vie, l'illumine en la saccageant, de telle sorte qu'ils prfrent lutter et s'entre-tuer pour la vaine possession de la Beaut, ds qu'en la connaissant ils l'ont reconnue, plutt que de consentir se passer d'elle une fois qu'ils ont subi la transfiguration qu'elle opre sur eux et sur toutes choses rien qu'en se rvlant, sans un mot, sans un ordre, du seul fait de sa prsence muette et dominatrice. Il suffit donc qu'elle soit l, brusquement dpose avec les cargaisons sur les quais de la Fatalit pour que, mme lie, semblant inoffensive et impuissante, elle exerce son influence et fasse ensemble tout le bien et tout le mal qui sont sa double loi, son rle et sa raison, pour qu'esclave elle soit la souveraine, du haut du butin o elle a t jete et place pour le couronner, dont elle est le sommet, le pinacle naturel attirant tous les dsirs, les regards levs et les bras tendus, les coeurs en folie. Tous en effet la veulent et chacun la rclame comme tant sa prise et sa part lgitime. Parce qu'ils se sont battus pour elle, voil-t-il pas qu'ils se persuadent, les insenss, qu'elle doit leur appartenir! Les corsaires se la disputent coups d'pe parmi les ballots gorgs, le ruissellement des tissus et des matires prcieuses. Le sang coule sur les anneaux rouilles du port; les bandeaux des plaies sont arrachs et dcolls par des mains que convuls l'envie des caresses; des cris et des beuglements de btes perces bouchent l'air qui brle, montent comme pour les enfler et les remplir jusqu'aux voiles gommes de vermillon et de safran des grands vaisseaux triple tage caracolant sur des flots violets... Et la Beaut, la Beaut si difficile, et pourtant si facile hier encore, la prostitue de la veille devenue l'inaccessible de l'heure, mise aux enchres des convoitises et du rang, fouette et comme flagelle par les poignes de pices d'or qu'elle fait tomber l'avance de la bourse des paumes vides, la Beaut finalement est prise et garde par un jeune roi, tendre, extatique et prompt au mystre, qui croit recevoir avec elle la fiance mystique de sa nostalgie, la Pauvret, la Puret venue exprs pour lui des immensits lointaines. Ce que voyant, la reine, jalouse et mchante, en feignant de la festoyer, fera prir la Pisanelle par la mort fleurie, l'touffement rose. Quel fond, quelle trame pour un pote aussi avide, aussi divers et aussi rassembl, aussi large et aussi minutieux que M. d'Annunzio! Sur ce canevas rigide et tendu comme la hune de la nef et souple comme le bguin de la Bate, il a pu broder son entire ivresse tous les motifs, tous les entrelacs, tous les ornements, toute la faune et la flore et la bestiaire potique de sa comdie, car ct et sous les terribles bats et combats de l'action brutale, sous le tumulte des chocs, sous l'arc-en-ciel du fer et des couleurs, sous le retentissement mtallique des sonorits humaines, est sagement, implacablement, logiquement expose, dduite et mene au pas--comme un cheval blanc qui piaffe un peu, par manire, mais qu'on tient haut la bride, sans le regarder pour qu'il avance mieux--est mene une comdie intellectuelle, une pice de caractre et d'ides qui est comme le texte mme, la pense fondamentale et philosophique trace en nobles et vastes lettres d'antiphonaire, d'une histoire tranquille, de tous temps, que dclament et commentent en marge leur faon, dans des enluminures passionnes, des personnages hroques. L'auteur parle voix presque basse et serre, vibrante et douce, et ses penses entremles alors de sons de cors, de cris de guerre, sont reprises, accentues, entonnes ainsi qu'un chant d'assaut avec une belliqueuse frnsie par les gens de sa maison, je veux dire ceux de son coeur et de sa pense (comme Joinville et Proissart disent ceux de Bruges et ceux de Cornouailles), les gens d'armes et les lances toute preuve, au service de sa croisade. Et que cette figure de la Pisanelle attache donc et retient! Elle enlace distance. Quoi de plus captivant que cette captive!... Par la profonde intention d'une antithse ncessaire, c'est elle, la femme de rien, rduite rien, demi nue, ligote, qui est la cause de tout, qui bouleverse, noue et dnoue, et lche la meute des vnements. Elle a ce signe par lequel se distinguent les souverainets qu'on adore: elle est impassible. Il ne peut en tre autrement, car ce sont les hommages, les prires qui font le calme et le froid des statues. La cime ne s'meut pas. La supplication qui gesticule cre de l'inerte rsistance. Pour que les hommes s'agenouillent il faut que les figures divines, ou qui croient l'tre, demeurent hautaines, toujours debout. Leur attitude alors ramasse et prend toute la grandeur laquelle renoncent les prosterns, et c'est en elles que se rfugient les fierts qu'ils abdiquent. Cette suprmatie majestueuse et fige, Mme Ida Rubinstein l'a comprise et rendue avec la puissance qu'elle est seule capable de montrer quand elle la dompte. Elle a le gnie de l'Immobilit. Elle en possde les longs et solennels moyens, l'invincible force latente. Je conserve l'image, modifie tous les actes, et de style toujours pareil, que l'altire comdienne, la mime intrieure, si rflchie, si absorbe et comme rsume en elle-mme, a donne successivement de la courtisane ocreuse la chair orange, et de la nonne aux sveltesses de tige, aux blancheurs liliales. Sur elle, contre elle, au marbre de son pied nu qu'ils n'avaient mme pas l'air d'atteindre et de gner, venaient se briser tous les transports, se rpandre l'eau des pleurs et le vin du sang,... et Elle, aussi bien sous les liens de roseaux croiss qui l'empaquetaient que sous la libert flottante de la flanelle et du lin, et sous les plis de plomb des brocarts, gardait son mme dtachement, son tout proche et lointain recul, son absence ralise dans la prsence relle. Derrire son immobilit l'on voyait pourtant l'me voluer et virer entre deux eaux, comme un poisson qui tourne sous la glace. On voyait l'esprit, le coeur de l'hrone mille fois plus anims, sans qu'elle voult le laisser paratre, que tous les corps qu'elle agitait, et l'on avait peine suivre les innombrables et harmonieux mouvements qu'elle s'interdisait. ** * Mais... j'irais longtemps si je prtendais numrer les joies, et de toute espce, que m'a prodigues cette oeuvre tincelante et dlicate, d'une opulence gnreuse. Elle est de celles que la sensibilit du beau accueille comme un bienfait. Elle offre une splendide et rare chevalerie et j'en aime le lyrisme acr, tranchant, combatif, perdu, toujours dgain, continuel aussi comme un flottement d'oriflamme. Quelques-uns ont paru s'tonner que le pote ait subi la griserie vertigineuse de ses archaques trouvailles... Ah! qu'il a donc, au contraire, t bien inspir de s'y prcipiter, de s'y rouler, de s'y baigner et de s'en tre tourdi dans l'allgresse de ses vocations! Qu'il tienne ses lopards! Je l'en conjure. Ils font, dater d'aujourd'hui, partie de son cusson. Qu'il ne les cde jamais! Et puis,--c'est l-dessus qu'avant de terminer je voudrais un instant courber et retenir votre attention en y appliquant avec respect la mienne: connaissez-vous, aussi bien parmi nos talents chenus que parmi nos jeunes gloires, connaissez-vous parmi nos illustres, pourtant complets, enviables et fameux, connaissez-vous quelqu'un qui soit aujourd'hui capable, si le vent de son destin l'avait, pour un temps, lanc hors de sa patrie et forc d'aller penser et s'enflammer ailleurs, en pays tranger, que ce soit Russie, Angleterre, Allemagne, Italie, Espagne, n'importe... connaissez-vous quelqu'un capable d'entrer en plusieurs mois assez avant dans le gnie, les flancs et les entrailles de cette terre d'adoption pour s'en faire une seconde patrie, naturelle et mrite, pour puiser livre ouvert, avec une curiosit indiscrte, touchante et sacre, dans ses archives, dans l'histoire et les lgendes de son pass et en ramener toute chaude, vivante, obtenue avec un charme, une correction, une science et une virtuosit filiale, une oeuvre crite dans la langue mme de ce pays qui n'est pas le sien, une oeuvre allant, s'il le faut, accrocher la foule, aprs qu'elle a plong les artistes et les patriciens de lettres dans un ravissement merveill? Eh bien, non, sans mdire de personne, je ne vois pas autour de moi l'crivain, prt, dans de semblables conditions, se donner orgueilleusement et remplir sans dfaillance une aussi dure tche. Ce noble but, Gabriele d'Annunzio l'a atteint. Je sais,... je sais qu'il a l'me latine, qu'il tait dj gonfl de nos sucs, nourri de notre lait... Mais c'est gal... La langue franaise! Si redoutable! Si dcourageante!... Il a os s'attaquer elle et la prendre, en la courtisant d'abord,... elle est femme... et puis en se faisant paladin, en la subjuguant par la beaut de son imptueux dsir et la tendre ardeur de son amour. Pour ce rare et cet extraordinaire hommage que le grand pote lui a rendu avec toute son me, en crivant chez nous, et pour nous, la Pisanelle, il serait injuste--ingrat--de ne pas le remercier par le plus beau de nos saluts. Henri Lavedan. (Reproduction et traduction rserves.) NOS HOTES AMRICAINS M. Lawrence Lowell Un des personnages les plus considrables des tats-Unis, M. Lawrence Lowell, prsident de l'Universit d'Harvard, vient d'arriver Paris, o il compte sjourner une dizaine de jours. Il est l'hte de l'ambassadeur d'Amrique, et de multiples ftes vont tre donnes en son honneur. Nous nous faisons difficilement une ide, en France, de l'influence et du rayonnement qu'exercent les grandes universits dans la dmocratie amricaine. Nous sommes un peu ports, d'instinct, croire cette dmocratie uniquement proccupe de ses intrts matriels, exclusivement passionne pour les affaires et dsireuse par-dessus tout de faire de l'argent. Il n'en est rien. Les grands besoins d'idalisme la travaillent. Elle est plus qu'aucune autre sensible l'action des forces morales. L'Amricain est fier de ses universits, il leur porte un vif intrt, il leur voue un culte fervent. M. Lawrence Lowell. Harvard est, parmi elles, une des plus prospres et des plus puissantes. Des donateurs gnreux l'ont comble de libralits. Elle est riche millions. Ses anciens lves gardent fidlement, prcieusement, le contact avec elle. Tous les ans, vers la fin du mois de juin, a lieu une crmonie des plus touchantes qu'on appelle le Commencement day. Les anciens d'Harvard tiennent coeur d'y assister. Certains viennent de l'autre extrmit des tats-Unis et se sont impos, pour se mler leurs jeunes camarades, la fatigue d'un trs long voyage. Une procession, un banquet runissent, dans une communion amicale, les uns et les autres. On voque parmi les impressions d'aujourd'hui les souvenirs d'autrefois. Et l'amour d'Harvard en sort considrablement grandi. Quand, dans un point quelconque du vaste univers, des anciens d'Harvard, des Harvardmen, se rencontrent, quelle que soit leur situation sociale, leur condition, ils fraternisent aussitt. Il vient d'tre cr Paris un Harvard Club, sous les auspices de M. Bacon, ancien ambassadeur des tats-Unis, un des protecteurs de l'Universit, de M. James H. Hyde, le crateur Harvard de ces confrences annuelles de littrature franaise, qui obtinrent un si retentissant succs et firent tant pour le dveloppement des relations intellectuelles entre les deux pays. Les membres du Club se retrouvent de temps autre dans de joyeuses runions. Le ct gastronomique en est rgl, de main de matre, par notre excellent confrre Inman Barnard, correspondant du New-York Tribune, qui possde en ces matires une comptence indiscutable autant qu'indiscute. Le nombre des lves d'Harvard qui occupent dans la politique, les professions librales, la haute banque, l'industrie, le commerce, des situations de premier plan ne se compte plus. Dans toutes les branches de l'activit amricaine, la vieille Universit est reprsente avec clat. Tous ces hommes conservant pieusement les liens qui les unissent leur ancienne cole, on se rend compte par l de l'influence extraordinaire qu'une telle Universit peut exercer. Il y a quatre ans, depuis le 19 mai 1909, que M. Lawrence Lowell en est le prsident. N Boston en 1856, lve d'Harvard, inscrit au barreau, confrencier, professeur, il fut enfin lev par la confiance du comit et des anciens lves ces trs importantes fonctions. Ses pouvoirs sont considrables. L'Universit tant absolument indpendante et vivant sur ses propres ressources, c'est le comit, surtout le prsident, qui la dirigent comme ils l'entendent et sous leur propre responsabilit. Le prsident choisit les professeurs, et l'on sent tout de suite l'importance et la gravit de ce choix; il surveille les travaux, dcide des rformes accomplir, prside aux relations de l'Universit avec le dehors. Depuis quatre annes qu'il exerce ces fonctions, M. Lawrence Lowell s'en est acquitt la satisfaction unanime. Sa rputation, trs grande dj aux tats-Unis, n'a cess de grandir. M. Lowell est l'auteur de plusieurs ouvrages rputs sur des questions politiques et conomiques. Un de ses livres, le plus connu et sur le point de devenir classique, a pour titre: le Gouvernement de l'Angleterre. C'est l'analyse la plus prcise, la plus complte de ces mille institutions et traditions dont l'ensemble, prodigieusement embrouill et compliqu, constitue le mcanisme politique du Royaume-Uni. M. Lowell prend, un par un, tous ces rouages; il l'tudi, il le dmonte et nous fait voir comment il marche. C'est un service qu'il a rendu non seulement aux trangers dont nous sommes, mais encore beaucoup d'Anglais qui sentaient ces choses-l d'instinct, sans avoir jamais pris la peine de les approfondir! Raymond Recouly. M. Andrew Carnegie M. Andrew Carnegie, le grand philanthrope et l'un des plus puissants souverains de l'industrie et des finances de l'Amrique moderne, M. Andrew Carnegie, le roi du fer et le constructeur du palais de la Paix, est galement depuis lundi l'hte de notre capitale, o il est accueilli et ft par tous les groupes ou reprsentants des institutions humanitaires dont il est le bienfaiteur. M. Andrew Carnegie. Rappelons que M. Carnegie, Ecossais d'origine, est n Dumferline il y a soixante-seize ans. Sa famille alla, en 1848, s'tablir Pittsburg en Pensylvanie, o le jeune Andrew occupa successivement les emplois modestes de mcanicien, de tlgraphiste et d'employ du chemin de fer. Sa puissante intelligence, son extraordinaire activit lui firent gravir rapidement les chelons de la hirarchie industrielle. Une fonderie qu'il cra et qui prospra d'une faon magique fut l'origine de cette immense fortune dont il emploie les revenus, non point des oeuvres de charit--car il estime que chacun doit demander le ncessaire de la vie son effort personnel--mais crer des institutions pouvant fournir aux moins riches les agrments intellectuels de la vie. Aussi a-t-il surtout fond des bibliothques publiques dans un grand nombre de villes des tats-Unis et dans sa ville natale, des muses d'art, des salles de concert, des laboratoires, des tablissements scientifiques, etc. Enfin, c'est lui qui donna les fonds ncessaires pour la construction, la Haye, du palais de la Paix. Ds le lendemain de son arrive Paris, M. Andrew Carnegie a t reu par le prsident de la Rpublique. Auparavant, il y avait eu, au ministre de l'Intrieur, une sance spciale pour la fondation Carnegie (Hero Fund). Le soir, un banquet, prsid par M. Emile Loubet, avait t organis par les associations et institutions suivantes qui doivent soit leur existence, soit d'importantes subventions au grand philanthrope: la fondation des hros, le comit France-Amrique, l'Universit de Paris, le groupe parlementaire de l'arbitrage et de la conciliation internationale, le conseil europen de la dotation Carnegie pour la paix, le conseil national des femmes franaises, le muse social. HENRI ROCHEFORT A quatre-vingt-deux ans, Henri Rochefort vient de succomber, Aix-les-Bains, une crise d'urmie: il n'y a gure plus d'un mois qu'il avait donn la Pairie, dont il tait le collaborateur fidle, son dernier article, avant d'aller, comme chaque anne il le faisait, se reposer quelques semaines. Voil close une carrire aussi trange, aussi mouvemente qu'elle fut longue,--et heureuse, au demeurant; car, vraisemblablement, Rochefort, spontan, imptueux, passionn pour tous les rles qu'il joua, quelle qu'en ait t la paradoxale diversit, toujours prt se lancer dans l'aventure avec une tranquille insouciance des suites possibles, n'et pas donn, pour un destin plus calme et moins fertile en motions, cette existence agite qu'il a compare lui-mme, l'ge o il jetait, en arrire, un regard dsabus, une ligne de montagnes russes, ce qui tait traiter avec dsinvolture certains vnements d'importance. Mais peut-tre cet esprit aimable et lger ne se rendit-il jamais un compte trs exact de la gravit des circonstances qui l'entranrent. Captif, pour la part qu'il avait prise aux vnements de la Commune, et qui le pouvait parfaitement conduire jusqu'au poteau d'excution, il crivait dans un billet rapide que J.-J. Weiss a comment vertement: Je vais sans doute tre fusill. Le diable m'emporte si je sais pourquoi. Aussi bien n'est-ce point comme homme politique qu'il convient de le juger, encore qu'en plus d'un cas il ait eu sur la marche des faits une influence certaine. Il lui manquait, videmment, ce discernement, cette prvoyance qui sont ncessaires aux conducteurs d'hommes. Il fut seulement un excitateur de foules. Avant tout, par-dessus tout, c'tait un journaliste de beaucoup d'esprit, de beaucoup de verve, un polmiste au style incisif, vigoureux, entranant: le pamphltaire. Sa vie s'est droule tellement au grand jour, dans la rue, au forum, que les pripties en sont quasi populaires. Authentique gentilhomme, descendant d'une illustre famille de soldats et de magistrats, et tenant, d'ailleurs, de cette noble origine, quoi qu'il en et, plus d'un trait de caractre, le marquis Henri de Rochefort-Luay tait Parisien de naissance, et Parisien pauvre, son pre, vaudevilliste en vogue, n'ayant conserv de la fortune ancestrale que des bribes. Et, comme il fallait vivre, la sortie du collge, il entra dans les bureaux de l'Htel de Ville. Ce ne fut qu'un passage: le mtier paternel l'attirait. Il crivit, donna aux petits thtres quelques pices gaies qui ne dplurent pas; le titre falot de l'une d'elles a survcu tout ce rpertoire et, au temps des furieuses polmiques, boulangisme ou Affaire, fournit ses adversaires maintes plaisanteries: c'est la Vieillesse de Brindisi. Du thtre au journal, les chemins de traverse abondent. Trs entich d'art et de bibelot, fureteur endiabl, Henri Rochefort se risque dans les sentiers de la critique, butine dans les expositions, les ventes, brocante un peu, lui-mme, en amateur, et, comme il est curieux de son naturel, s'initie un tas de dessous qui lui fournissent la matire d'une amusante brochure: les Petits Mystres de l'Htel des Ventes. C'est un recueil d'alertes articles sur un milieu pittoresque, qui, aujourd'hui encore, gardent la saveur de piquants tableaux de moeurs, vus par un oeil aigu. L'oeuvrette ne passe pas inaperue. Ou la reconnat fort spirituelle, vivante; elle a donc les deux qualits premires que requiert la chronique, dont commence la vogue. Dsormais l'auteur sera chroniqueur. Sa signature, vite connue, voisinera au Nain Jaune, au Figaro, l'vnement, avec celles d'Aurlien Scholl, de Jules Noriac, de Pierre Vron, d'Albert Wolff, de tous les millionnaires de l'esprit. Henri Rochefort dix-huit ans. (Dessin de Maria Rohl, lve de Lon Cogniet, dat de 1849 et conserv la Bibliothque royale de Stockholm.--Fac-simil communiqu par le comte F.-U. Wrangel.) Je viens de feuilleter les Franais de la dcadence, un recueil de ses courriers de Paris, fantaisies phmres sur la vie boulevardire, le monde, ses manies, ses caprices, le thtre, ses toiles, ses coulisses... On les relit sans ennui. Et dj l'on voit poindre, travers ces feuillets jaunis, le polmiste bientt si redoutable. On lui reproche, par les voies administratives, de friser la politique. Il a une faon de s'en excuser qui ne fait qu'aggraver son cas. Que d'irrvrence!--et quelle habilet dans le sous-entendu! quel art des rapprochements dsobligeants pour les grands qui il en a! Non seulement il ose exalter Victor Hugo--en 1865!--mais il ne peut se retenir de le faire au dtriment des glorieux vaudevilles de M. de Saint-Rmy, qui n'est autre, nul n'en ignore, que M. de Morny lui-mme. Un moment vient o cette guerre aux flchettes exaspre le pouvoir. On lui fait dfense, selon l'un de ses mots les plus drles, de parler de M. Pinard--le ministre de l'Intrieur du moment, qui avait bien quelques centimtres de moins que M. Thiers, le plus petit des grands hommes--sinon pour vanter sa haute taille, et de nommer M. Rouher, si ce n'est pour exalter son dsintressement. Henri Rochefort doit abandonner le Figaro, o il ironise et raille ainsi, mais que sa collaboration compromet et menace de ruiner. Alors nat la Lanterne, qui allait porter l'Empire des coups plus cinglants encore, tout en assurant la fortune politique de son rdacteur. Fortune trange, la vrit, et bien faite pour blouir et griser celui-l mme qu'elle favorisait. Se voir saluer comme l'un des artisans de la chute de l'Empire parce qu'on a rvl au monde dans une formule au surplus bien amusante: Il y a en France 36 millions de sujets, sans compter les sujets de mcontentement, o encore que Barye, charg de modeler une statue questre de Napolon III est le plus clbre de nos sculpteurs d'animaux, il y a l de quoi ouvrir un crivain, pour peu qu'il ait le sens critique un tantinet mouss, un champ d'illusions sans limites. Hlas! de trois cruelles occasions de dchanter se prparent. Henri Rochefort l'poque de la Lanterne. Toujours est-il qu'une ralit est l: la vogue de la Lanterne grandit mesure que s'accrot l'irritation du pouvoir. C'est pour Henri Rochefort la grande popularit, que ne font qu'aviver les perscutions. Viennent les procs retentissants, l'exil, et c'est l'lection triomphale au Corps lgislatif, le rle politique de premier plan, la prison, que rouvre seulement la rvolution du 4 septembre. Par malheur, Henri Rochefort manquait de telles des qualits indispensables au tribun. Il n'tait point l'homme des foules et ne leur rendait que platoniquement, distance, l'idoltrie dont elles l'accablaient. On le vit bien aux obsques de Victor Noir, o, matre de diriger son gr le courant populaire, dress sur le pavois, exalt sur de robustes paules, il fut pris de vertige et s'vanouit... Non, certes, qu'il ne ft brave: il avait eu des duels retentissants. Mais il ne suffit pas toujours de gourmander, comme Henri IV, la vieille carcasse pour la galvaniser. A la chute du rgime imprial, la vogue populaire qu'avait reconquise le polmiste, un moment moins choy, aprs sa dfaillance, le portait l'Htel de Ville. Membre du gouvernement de la Dfense nationale, il allait de nouveau s'inquiter, et mollir l'heure de l'action. Il dmissionna vite. On a rappel plus haut jusqu'o l'entrana sa participation la Commune: ce fut la dportation la Nouvelle-Caldonie, laquelle mit fin une vasion prilleuse et retentissante. Rentr en France l'amnistie de 1880, il allait de nouveau connatre les amertumes de l'exil la suite de l'quipe boulangiste, qu'il avait soutenue avec un entrain endiabl, une verve prodigieuse. Une fois de plus il se trouvait avec les vaincus. Il n'attendit pas sa condamnation par la Haute Cour pour gagner Bruxelles puis Londres, et vivre l dans l'esprance d'une autre amnistie. Elle le rappela en 1895. L'Affaire le retrouve dans l'opposition: car, quel que soit le parti triomphant, il sera de l'opinion adverse. C'est un besoin de nature, un instinct imprieux, plus fort que tous les principes, que tous les dogmes. Il devait y demeurer soumis jusqu' la dernire heure. L'excessive vhmence de ton laquelle graduellement il tait arriv, aprs avoir si adroitement mani le sous-entendu, enlevait, en ces dernires annes, quelque porte ses anathmes. Mais la forme de ses articles demeurait si amusante, que ceux-l mmes qu'il dchirait dents froces ne devaient gure lui on garder rancune. M. Constans du moins, qui fut peut-tre, de tous ses adversaires, celui contre lequel il s'acharna le plus longuement et le plus rageusement--le plus vainement aussi--souriait avec bonhomie, quant lui, de ces excs. Le fin matois avait des raisons excellentes de ne pas croire la porte de ces philippiques. Ce croquemitaine l'trange teint de bile, au provocant toupet d'argent, avait d'ailleurs des cts chevaleresques parfois assez touchants et on l'a vu maintes fois dfendre un confrre en butte aux coups du sort avec la mme pret farouche qu'il dployait trancher un adversaire. Entre les diffrentes images que nous reproduisons de cette figure singulire et attachante, depuis le curieux crayon du comte de Rochefort dix-huit ans, que nous communique le comte Wrangel, l'rudit crivain, jusqu'au nerveux pastel de Marcel Baschet, tude pour l'admirable et expressif portrait que l'on connat, en passant par cette photographie qui le montre sous l'allure cavalire de l'agitateur populaire, il est un de ses aspects qui manque: c'est le Rochefort pench, quelque exposition prcdant une grande vente, rue de Sze, l'htel Drouot, vers un tableau, une gravure, et, le binocle la main, analysant, scrutant la peinture, puis redressant sa haute taille, demeure droite jusqu'en la quatre-vingt-deuxime anne, pour proclamer un ar ......Buy Now (To Read More)

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Author: Various
Release Date: Jun 8, 2011
Format: eBook
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Shipping

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