La solitude

La solitude

Brugg est une jolie petite ville du canton d'Argovie, situe au confluent de l'Aar, de la Reuss et de la Limat. Je passais l, il y a quelques mois, par une de ces fraches matines d't qui rpandent tant de charme sur les riants paysages de la Suisse. Tandis que le conducteur de la diligence faisait une halte l'htel de l'toile, je regardais avec une vive curiosit la situation pittoresque de cette cit helvtique, la rivire cumante, fougueuse, qui la traverse, et les vertes prairies et les collines ondoyantes qui l'entourent. Regardez la nouvelle maison d'cole, me disait un honnte professeur de Ble qui voyageait avec moi; regardez le mur d'enceinte de la ville, o l'on voit un curieux bas-relief reprsentant une tte de II Hun. Mais je ne songeais ni la nouvelle cole ni aux anciennes sculptures de la bourgade argovienne. Brugg ne me rappelait qu'un nom, le nom de Zimmermann, et je n'tais occup qu' associer dans ma pense l'aspect remarquable de cette ville au caractre distinct du clbre physiologiste. Qui ne sait l'influence qu'exercent sur nous les lieux o s'est veille notre jeunesse, les premiers tableaux qui ont frapp nos regards, les premires impressions qui ont saisi notre esprit? Il y a des sicles que l'on a compar, dans une image pleine de grce, l'me de l'homme un vase qui conserve la saveur des parfums dont il a t imprgn. Ces parfums sont les conceptions naves de notre enfance, les songes encore flottants, mais vifs et durables, que la vue du monde ou la contemplation de la nature a fait natre dans notre imagination. Buffon a, dans un de ses plus beaux traits, indiqu l'action diverse des climats sur l'organisation physique et le moral de l'homme. Un sage et respectable crivain, M. de Bonstetten, a consacr tout un livre cette mme tude[1]. On pourrait tendre la question beaucoup plus loin, et dmontrer que ces dispositions dtermines de l'esprit, qu'on baptise du nom de vocation, ne sont souvent que le rsultat d'une impression accidentelle, spontane, nergique, dont les parents les plus clairvoyants et les matres les plus habiles ne distinguent peut-tre pas mme la source. Combien de peintres ont d la soudaine rvlation de leur avenir la vue d'un tableau qui fcondait, comme un ardent soleil, leurs facults inertes! Combien de potes ont t, comme la Fontaine, mus subitement jusqu'aux III larmes en entendant rciter une ode, et ont senti vibrer en eux les cordes d'une lyre jusque-l muette et touffe! Combien de nobles magistrats ont t, dans les sicles derniers, disposs la svre attitude et au grand sentiment des fonctions judiciaires par la contemplation journalire des tableaux de famille, des conseillers en robe noire et des prsidents mortier qui les entouraient! C'est un argument qu'on n'a point assez fait valoir dans la loi sur l'hrdit de la pairie. On a rpondu par des objections spcieuses des raisons justifies par l'exprience des sicles. Qu'un jeune homme, mme dans ce temps d'ides excentriques et d'ambitions confuses, soit ds son enfance lev en vue d'une dignit hrditaire dans sa famille, avec tous les souvenirs qui se rattachent cette succession, avec les entretiens dont elle doit tre chaque instant l'objet essentiel, il est, on peut le dire, peu prs certain qu' moins d'un vice d'organisation radical et incorrigible, le jeune homme saura plus que nul autre comprendre les devoirs que lui impose ce privilge de naissance et les accomplir. A chaque pas que l'on fait dans l'tude de la nature humaine, on est saisi du rapport constant qui existe entre le monde moral et le monde physique. Telle plante ne dgnre et ne s'tiole que parce qu'elle n'est point place sur son vritable terrain, et tel cur n'est mauvais que parce qu'il s'est dvelopp au milieu d'une atmosphre pernicieuse, dont il n'a pas eu le moyen ou la force de vaincre la funeste influence. En thse gnrale, deux sphres d'action exercent surtout un puissant empire sur notre caractre et nos gots: la vie du monde et la solitude. Voici un homme IV qui, tout jeune encore, vous tonne par la souplesse de sa parole, par son genre d'esprit, vif, lger, prompt la repartie, et dispos au sarcasme plutt qu' l'admiration. Voyez s'il n'a pas vcu de bonne heure au milieu d'un monde qui l'a faonn ses mobiles allures, qui, en veillant son attention sur les ides courantes, l'a habitu glisser ingnieusement la surface des choses et l'a dtourn des conceptions srieuses, dont l'tude gnerait la libert de ses mouvements en absorbant une partie de ses facults. ......Buy Now (To Read More)

Product details

Ebook Number: 51214
Author: Zimmermann, Johann Georg
Release Date: Feb 14, 2016
Format: eBook
Language: French

Contributors

Translator: Marmier, Xavier, 1809-1892