Poèmes: Les bords de la route. Les Flamandes. Les Moines

Poèmes: Les bords de la route. Les Flamandes. Les Moines

Poèmes: Les bords de la route. Les Flamandes. Les Moines LES BORDS DE LA ROUTE 1882-1894 A...
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Author: Verhaeren, Emile,1855-1916
Format: eBook
Language: French
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Author: Verhaeren, Emile,1855-1916
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Language: French

Poèmes: Les bords de la route. Les Flamandes. Les Moines

LES BORDS DE LA ROUTE 1882-1894 A PAUL SIGNAC DCORS TRISTES LE GEL Sous le fuligineux tain d'un ciel d'hiver, Le froid gerce le sol des plaines assoupies, La neige adhre aux flancs rps d'un talus vert Et par le vide entier grincent des vols de pies. Avec leurs fins rameaux en serres de harpies, De noirs taillis mchants s'acharnent griffer, Un tas de feuilles d'or pourrissent en charpies; On s'imagine entendre au loin casser du fer. C'est l'infini du gel cruel, il incarcre Notre me en un tau gant qui se resserre, Tandis qu'avec un dur et sec et faux accord Une cloche de bourg voisin dit sa complainte, Martle obstinment l'pre silenceet tinte Que, dans le soir, l-bas, on met en terre un mort. LES BRUMES Brumes mornes d'hiver, mlancoliquement Et douloureusement, roulez sur mes penses Et sur mon cur vos longs linceuls d'entendement Et de rameaux dfunts et de feuilles froisses Et livides, tandis qu'au loin, vers l'horizon, Sous l'ouatement mouill de la plaine dormante, Parmi les chos sourds et souffreteux, le son D'un anglus lass se perd et se lamente Encore et va mourir dans le vide du soir, Si seul, si pauvre et si craintif, qu'une corneille, Blottie entre les gros arceaux d'un vieux voussoir, A l'entendre gmir et sangloter, s'veille Et doucement rpond et se plaint son tour A travers le silence entier que l'heure apporte, Et tout coup se tait, croyant que dans la tour L'agonie est teinte et que la cloche est morte. SUR LA COTE Un vent rude soufflait par les azurs cendrs, Quand du ct de l'aube, ouverte l'avalanche, L'horizon s'branla dans une charge blanche Et dans un galop fou de nuages cabrs. Le jour entier, jour clair, jour sans pluie et sans brume, Les crins sautants, les flancs dors, la croupe en feu, Ils rurent leur course travers l'ther bleu, Dans un envolement d'argent ple et d'cume. Et leur lan grandit encor, lorsque le soir, Coupant l'espace entier de son grand geste noir, Les poussa vers la mer, o criaient les rafales. Et que l'ample soleil de Juin, tomb de haut, Se dbattit, sanglant, sous leur farouche assaut, Comme un rouge talon dans un rut de cavales. (1884-85) LES CORNEILLES Le plumage lustr de satins et de moires, Les corneilles, oiseaux placides et dolents, Parmi les champs d'hiver, que la neige a fait blancs, Apparaissent ainsi que des floraisons noires. L'une marque les longs rameaux d'un chne ami; Elle est penche au bout d'une branche tordue, Et, fleur d'encre, prolonge une plainte entendue Par le tranquille cho d'un village endormi. Une autre est l, plus loin, pleurarde et solitaire, Sur un tertre maussade et bas comme un tombeau. Et longuement se rve en ce coin rong d'eau, Fleur tombale d'un mort qui dormirait sous terre. Une autre encor, les yeux fixes et vigilants, Hiratiquement, sur un pignon place, Reste l'cart et meurt, vieille et paralyse, Plante hiroglyphique en fleur depuis mille ans. Le plumage lustr de satins et de moires, Les corneilles, oiseaux placides et dolents, Parmi les champs d'hiver, que la neige a faits blancs, Apparaissent ainsi que des floraisons noires. VAGUEMENT Voir une fleur l-bas, fragile et nonchalante, En cadence dormir au bout d'un rameau clair, En cadence, le soir, fragile et nonchalante, Dormir;et tout coup voir luire au clair de l'air, Luire, comme une pierre, un insecte qui danse, Instant de nacre en fuite au long d'un rayon d'or; Et voir l'horizon un navire qui danse Sur ses ancres et qui s'enfle et tente l'essor, Un navire lointain vers les grves lointaines, Et les les et les hvres et les dparts Et les adieux;et puis, ces choses lointaines, A ces choses du soir confier les hasards: Craindre si la fleur tombe ou si l'insecte passe Ou s'il part le navire travers vents, l-bas, Vers la tempte et vers l'cume et vers l'espace Danser, parmi la houle norme, au son des glas.... Ton souvenir!et le mler ces prsages, A ce navire, cet insecte, cette fleur, Ton souvenir qui plane, ainsi que des nuages, Au couchant d'ombre et d'or de ma douleur. (1886) VNUS ARDENTE En ce soir de couleurs, en ce soir de parfums, Voici grandir l'orgueil d'un puissant crpuscule Plein de flambeaux cachs et de miroirs dfunts. Un chne avec colre, l'horizon, s'accule Et, foudroy, redresse encor ses poings au ciel. Le cadavre du jour flotte sur les ptures Et, parmi le couchant clabouss de fiel, Planent de noirs corbeaux dans l'or des pourritures. Et le cerveau, certes morne et lass, soudain S'veille en ces heures de fastueux silence Et resonge son rve infiniment lointain, O la vie allumait sa rouge violence Et, comme un grand brasier, brlait la volont. Et le dsir jappant et la ferveur torride Ressuscitent le cur mollassement dompt, Et voici que renat Vnus fauve et splendide, Guerrire encor, comme aux sicles paens et clairs, Qui l'adoraient en des ftes tumultueuses, Tandis qu'elle dressait, comme un pavois, ses chairs, Ple, le cou dard, les narines fougueuses. (1886) LES CIERGES Ongles de feu, cierges!Ils s'allument, les soirs, Doigts mystiques dresss sur des chandeliers d'or, A minces et jaunes flammes, dans un dcor Et de cartels et de blasons et de draps noirs. Ils s'allument dans le silence et les tnbres, Avec le grsil bref et mchant de leur cire, Et se moquentet l'on croirait entendre rire Les prires autour des estrades funbres. Les morts, ils sont couchs trs longs dans leurs remords Et leur linceul trs ple et les deux pieds dresss En pointe et les regards en l'air et trpasss Et repartis chercher ailleurs les autres morts. Chercher? Et les cierges les conduisent; les cierges Pour les charmer et leur illuminer la route Et leur souffler la peur et leur souffler le doute Aux carrefours multiplis des chemins vierges. Ils ne trouveront point les morts aims jadis, Ni les anciens baisers, ni les doux bras tendus, Ni les amours lointains, ni les destins perdus; Car les cierges ne mnent pas en paradis. Ils s'allument dans le silence et les tnbres, Avec le grsil bref et mchant de leur cire Et se moquentet l'on entend gratter leur rire Autour des estrades et des cartels funbres. Ongles ples dresss sur des chandeliers d'or! KATO HOMMAGE I Pour y tasser le poids de tes belles lourdeurs, Tes doubles seins frugaux et savoureux qu'arrose Ton sang, tes bras bombs que lustre la peau rose, Ton ventre o les poils roux toisonnent leurs splendeurs. Je tresserai mes vers comme, au fond des villages, Assis, au seuil de leur maison, les vieux vanniers Mlent les osiers bruns et blancs de leurs paniers, En dessins nets, pris l'mail des carrelages. Ils contiendront les ors ferments de ton corps; Et je les porterai comme des fleurs de fte, En tas massifs et blonds, au soleil, sur ma tte, Orgueilleusement clair, comme il convient aux forts. II Ta grande chair me fait songer aux centauresses Dont Paul Rubens, avec le feu de ses pinceaux, Incendiait les crins au clair, les bras en graisse, Les seins points vers les yeux verts des lionceaux. Ton sang tait le leur, alors qu'au crpuscule, Sous tel astre mordant de soir le ciel d'airain, Leur grande voix hlait quelque farouche Hercule Que la nuit garait dans le brouillard marin; Et que les sens crisps d'ardeur vers les caresses, Et le ventre toujours bant vers l'inconnu, Leurs bras tordaient l'appel lascif vers les adresses Des monstres noirs, lcheurs de rut, sur un corps nu. III Ce que je choisirais pour te symboliser, Ce ne seraient ni lys, ni tournesols, ni roses Ouvrant aux vents frleurs leur corolle en baiser, Ni les grands nnuphars dont les pulpes moroses Et les larges yeux froids, chargs d'ternit, Billent sur l'tang clair leurs rves immobiles, Ni le peuple des fleurs despotique et fouett De colre et de vent sur les grves hostiles. NonMais tout frmissant d'aurore et de soleil, Comme des jets de sang se confondent par gerbes, En pleine floraison, en plein faste vermeil, Ce serait un massif de dahlias superbes, Qui, dans l'automne en feu des jours voluptueux, Dans la maturit chaude de la matire; Comme de grands ttons rouges et monstrueux, Se raidiraient sous les mains d'or de la lumire. IV Les forts montent la vie ainsi qu'un escalier, Sans voir d'abord que les femmes sur leurs passages Tendent vers eux leurs seins, leurs fronts et leurs visages Et leurs bras largis en branches d'espalier. Ils sont les assoiffs de ciel, nocturne hallier, O buissonnent des feux en de noirs paysages, Et si haut montent-ils, sduits par des prsages, Qu'ils parvienent enfin au suprme palier. Ils y cueillent des fruits d'astres et de comtes; Puis descendent, lasss de gloire et de conqutes, L'esprit du, les yeux ailleurs, les curs brls; Et regardant alors les femmes qui les guettent, Ils s'inclinent devant, deux genoux, et mettent Entre leurs mains en or les grands mondes vols. (1892) CANTIQUES I Je voudrais possder pour dire tes splendeurs, Le plain-chant triomphal des vagues sur les sables, Ou les poumons gants des vents intarissables; Je voudrais dominer les lourds chos grondeurs, Qui jettent dans la nuit des paroles tranges, Pour les faire crier et clamer tes louanges; Je voudrais que la mer tout entire chantt, Et comme un poids le monde levt sa mare, Pour te dire superbe et te dresser sacre; Je voudrais que ton nom dans le ciel clatt, Comme un feu voyageur et roult, d'astre en astre, Avec des bruits d'orage et des heurts de dsastre. II Les pieds ongls de bronze et les yeux large ouverts, Comme de grands lzards, buvant l'or des lumires, Se tranent vers ton corps mes dsirs longs et verts. En plein midi torride, aux heures coutumires, Je t'ai couche, au bord d'un champ, dans le soleil; Auprs, frissonne un coin embras de mteil, L'air tient sur nos amours de la chaleur pendue, L'Escaut s'enfonce au loin comme un chemin d'argent, Et le ciel lam d'or allonge l'tendue. Et tu t'tends lascive et gante, insurgeant, Comme de grands lzards buvant l'or des lumires, Mes dsirs revenus vers leurs ardeurs premires. III Et mon amour sera le soleil fastueux, Qui vtira d't torride et de paresses Les versants clairs et nus de ton corps montueux. Il rpandra sur toi sa lumire en caresses, Et les attouchements de ce brasier nouveau Seront des langues d'or qui lcheront ta peau. Tu seras la beaut du jour, tu seras l'aube Et la rougeur des soirs tragiques et houleux; Tu feras de clarts de splendeurs ta robe. Ta chair sera pareille aux marbres fabuleux, Qui chantaient, aux dserts, des chansons grandioses, Quand le matin brlait leurs blocs, d'apothoses. IV Hiratiquement droit sur le monde, Amour! Grand Dieu, velu de rouge en tes splendeurs sacres, Vers toi, l'humanit monte comme le jour, Monte comme les vents et comme les mares; Nous te magnifions. Amour, Dieu jeune et roux, Qui casse sur nos fronts tes clairs de courroux, Mais qui dcoche aussi dans le fond de nos moelles, L'lectrique frisson au plaisir ternel, Et nous te contemplons, sous ton ciel solennel, O des curs mordus d'or flambent au lieu dtoiles, O la lune arrondit son orbe en sein vermeil, O la chair de Vnus met des lacs de soleil. (1882) AU CARREFOUR DE LA MORT I Hlas, ton corps! ma longue et ple malade, Ton pauvre corps d'orgueil parmi les coussins blancs!... Les maux serrent en toi leur nerveuse torsade Et vers l'ternit tournent tes regards lents. Tes yeux, rservoirs d'or profond, tes yeux bizarres Et doux, sous ton front plane, ont terni leurs ardeurs, Comme meurent les soirs d't dans l'eau des mares, Mlancoliquement, dans tes grands yeux tu meurs. Tes bras qui s'talaient au mur de ta jeunesse, Tel qu'un cep glorieux vtu de vins et d'or, Au long de tes flancs creux lignent leur scheresse, Pareils aux bras osseux et sarmenteux des morts. Tes seins, bouquets de sve tals sur ton torse, Iles de rouge amour sur un grand lac vermeil, Dlustrs de leur joie et vids de leur force, Schent, eux que mon rut levait son soleil. Et maintenant, qu'aux jours de juin, pour le distraire, On t'amne, l-bas, dans les jardins l'asseoir. Ds qu'on t'assied dans l'herbe, je crois le voir Tout lentement dj t'enfoncer sous la terre. II A voir si ple et maigre et proche de la mort, Ta chair, la grande chair, jadis vocatoire, Et que les roux midis d't feuillageaient d'or Et grandissaient, mes yeux se refusent croire Que c'est ce corps-l, lch, flatt, mordu, Chaque soir, par les dents et l'ardeur d'une bte, Que c'est ces deux seins ples que j'ai pendu Mes dsirs, mes orgueils et mes ruts de pote. Et nanmoins je l'aime encore, quoique fltri, Ce corqs, horizon rouge ouvert sur ma pense. Arbre aux rameaux casss, soleil endolori, Ce corps de pulpe morte et de chair efface, Et je le couche en rve au fond du bateau noir, Qui conduisait jadis, aux temps chanteurs des fes, Vers leurs tombeaux orns d'ombre, comme un beau soir, Tranes au fil des eaux et robes dgrafes Les dfuntes d'amour dont les purs yeux lointains Brillent dans le hallier, les bois et dans les landes, Et dont les longs cheveux d'argents et de satins, Comme des clairs de lune, ardent dans les lgendes. Et comme elles, je veux te conduire travers Les fleuves et les lacs et les marais de Flandre, L-bas, vers les terreaux et les pacages verts Et les couchants sabls de leur soleil en cendre, L-bas, vers les grands bois obscurs et pavoiss Avec des grappes d'ombre et des fleurs de lumire, O les rameaux noueux se tordent enlacs Dans un spasme muet de sve et de matire. Et telle, une suprme et magnifique fois Mon rve aura song ta beaut rouge et forte; Pauvre corps! pauvre chair! pauvre et douce voix Morte! III La mort peindra ta chair de ce vieux ton verdtre Dlicatement jaune et si fin, qu'on dirait Qu' travers le cadavre un printemps transparat Et qu'une lueur jeune en avive l'albtre. Et recueilli du cur, des yeux et du cerveau. Sentant plir en moi, comme un feu de lumire, Le souvenir trop net de ta beaut plnire, J'irai m'agenouiller devant ce corps nouveau. Je lui dirai les grands versets mlancoliques Que l'glise, ta mre, pand aux trpasss, Et je lui parlerai de nos amours passs Avec les mots fans des lvres catholiques. Je fixerai dans mon esprit ses traits humains, Ses yeux scells au jour, au soleil, la gloire, Et rien n'effacera jamais de ma mmoire La croix que sur ton cur dessineront tes mains. Et pour raliser ton suprme souhait, Le soir, dans la pit des chrtiennes tnbres. Je sortirai ton sein de ses voiles funbres Et je le baiserai tel que la mort l'a fait. IV Depuis que te voil dissoute au cercueil sombre Et que les vers se sont tordus dans ta beaut Et que la pourriture habite avec ton ombre Et mord en toi les nids de sa fcondit, Qu'il fasse aurore en soir, mon me est douloureuse Et strile aux splendeurs des sites et des airs, Le jour ta forme est l, passante et vaporeuse. La nuit ton long fantme emplt mes bras dserts. Il m'apparat dans un orgueil ple et candide. Debout mais schement retouch par la mort. Peignant je ne sais quoi de triste et de splendide Dans le lissage en feu vivant de ses crins d'or. Il me regarde et ses regards sembles des plaintes D'un exile lointain, doux et silencieux. Et telle est la douleur de ses clarts teintes, Que chaque soir, mais mains lui ferment les deux yeux. 1892 FRESQUES LES VIEUX ROIS Hommes striliss par des sicles d'ennui Et de virginits posthumes et pourries: Vos mains? du fer; vos curs? du bronze et de la nuit. Et vos ongles et vos deux yeux? des pierreries. Immobiles soleils, tincelants et noirs, Assis sur des trnes d'bne, arms de gloire Et d'or. Masques rveurs et grands comme les soirs, Et calcins comme les rocs d'un promontoire. Vieillards redoutables et vieux, comme les mers, Qui regardez en vous pour voir toute la terre, Qui n'interrogez point l'azur des cieux amers, Et demeurez penchs sur votre seul mystre. Les fers cruels flamboient et vous dardez comme eux, Sous les mitres d'orgueil et sous les lances bleues, Qui rayonnent vers vous leurs aciers vnneux: Et la terreur de votre front souffle cent lieues. Et vous restez muets, toujours. Un lopard Lche vos pieds bagus, et des femmes qu'on pare, Pour vous distraire les tuer d'un seul regard, Tordent en vain vers vos dsirs leur corps barbare. Et votre cerveau sche et demeure engourdi, Lass de visions de meurtre et de magie, Et plus aucun vouloir en vous ne resplendit: Et vous mourez tout seuls, un soir, dans une orgie. (1888) SOUS LES PRTORIENS Les soirs! voici les soirs de pourpre, vocateurs De carnages et de victoires, Quand se hlent dans les mmoires Les clairons fabuleux et les buccins menteurs. Et regardez! Dans la mobile obscurit D'une salle immense, personne. Un bourdon sonne, A travers l'ombre rouge, avec mordacit! Contre des murs de nuit, de grands soleils. Soudain arborent des trophes; Les colonnes sont attifes De cartouches soyeux et de lauriers vermeils. L'orgueil des tendards coiffs d'alrions Vaguement remue et flamboie; Un bas relief se creuse et se dploie O le granit se crispe en mufles de lions. Un bruit de pas guerriers multipli s'entend Derrire un grand rideau livide: Un trne est l, sanglant et vide.... Et le silence brusque et volontaire attend. Mon rve, enfermons-nous dans ces choses lointaines. Comme en de tragiques tombeaux, Grands de mtaux et de flambeaux Et de faisceaux tendus sous des lances hautaines. (1887) LGENDES Les grands soleils cuivrs des suprmes automnes Tournent clatamment dans un carnage d'or; Mon cur, o les hros des ballades teutones Qui cornaient, par les bois, les marches de la Mort? Ils passaient par les rocs, les campagnes, les havres, Les burgset brusquement ils s'croulaient, vermeils, Saignant leurs jours, saignant leurs curs, puis leurs cadavres; Passaient dans la lgende, ainsi que des soleils. Ils jugeaient bien et peu la vie: une aventure; Avec un mors d'orgueil, ils lui bridaient les dents; Ils la mtaient sous eux comme une pre monture Et la tenaient broye en leurs genoux ardents. Ils chevauchaient fougueux et rouxcombien d'annes? Crevant leur bte et s'imposant au Sort; Mon cur, oh, les hros des ballades fanes, Qui cornaient, par les bois, les marches de la Mort! (1888) LES PREUX En un trs vieux manoir, avec des javelots Et des pennons lancols sur ses murailles. Une rage de bataille Rouge clatait en tableaux. Grandir! on y voyait les froces ramures De la mle, o des paladins merveilleux, Avec du soir au fond des yeux, Tombaient, allongs morts en leurs chsses d'armures. Hlas! tous ces cerveaux qui rvrent de gloire, Fendus! et tous ces poings, coups! traceurs d'clairs, Avec, dans l'air, leurs glaives clairs Et leurs aigles de casque ploys dans l'Histoire. Hlas! et la dbcle travers leurs maisons, Le deuil de la dbcle en des nuits de tueries, Et les funbres sonneries Cassant la destine en or de leurs blasons. Pourtant, qu'ils soient tombs en corps--corps ardents, Ramus de force et les dix doigts ongls de haine Et la bouche folle et soudaine Et le sang frais marbrant leurs dents. Et contre la fort fourmillante de lances Qui s'avanait, qu'ils aient, le dsespoir au clair, Lourdes masses d'ombre et de fer, Terribles bras d'acier, cogn leurs violences. Qu'importe alors!ils ont senti la joie unique D'exprimer l'tre humain en sa totalit De hargne et de brutalit, Jusqu'au tressant dernier de la mort ttanique! (1889) SOIR DE CAVEAU Des torchres dont la clart ne bouge Brlent depuis les loins des jours, toujours, Parmi la cruaut de ce caveau vot, D'bne immense et lambriss d'or rouge. Les supplices d'acier et les meurtres d'airain S'y souviennent: Nron, Procuste et Louis onze. Regards de proie, ongles de bronze, Clous et tenailles dans leur main Un luxe vieux de mtaux noirs habille Le solennel granit d'un ft assyrien, rig l, pour ne soutenir rien Que les sicles et leur douleur indbile. Soudain, sur ce pilierainsi qu'un ostensoir Lamentable, l-bas, qui s'claire lui-mme Masque de cire en un nuage blme, Mon front surgit de souffrance et de soir: Bouche de cris tordus en muette prire, Cheveux tristes d'orgueil fauch, Chair seule, et, par le col tranch, D'intermittents caillots de sang et de lumire Mon front, hlas! celui si ple de ma mort En ces caveaux immobiles d'or rouge, O plus jamaissinon mes yeuxflamme ne bouge Pour regarder ce faste en fer de ma mort. (1891) ARTEVELDE La mort grande, du fond des sonnantes armoires De l'orgue, rige, en voix de gloire immensment, Vers les votes, le nom du vieux Ruwaert flamand Dont chaque anniversaire exalte les mmoires. Superbe allumeur d'or parmi les incendies, Les carnages, les rvoltes, les dsespoirs, Le peuple a ramass sa lgende, les soirs, A la veille, et la clbre en recordies. Avec un nud d'clairs il les tenait, ses Flandres, Un nud de volontson poing comme un beffroi Debout dans la colre aimantait de l'effroi Et s'abattait, et les cages devenaient cendres. Les rois, il les prostrait devant son attitude, Imprieux, ayant derrire lui, l-bas, Et le peuple des curs et le peuple des bras Tendus! Il tait fort comme une multitude. Et son me voyait son me et ses penses Survivre et s'allumer par au del son temps, Torche premire! et vers les avenirs flottants Tordre ses feux, ainsi que des mains convulses. Il se sentait miraculeux. Toute sa tte S'imposait l'obstacle. Il le cassa sous lui, Jusqu'au jour o la mort enlinceula de nuit Son front silencieux de force et de tempte. Un soir, il disparut tu comme un roi rouge. En pleine ville ardente et rvolte, un soir. LA NUIT Depuis que dans la plaine immense il s'est fait soir. Avec de lourds marteaux et des blocs taciturnes, L'ombre btit ses murs et ses donjons nocturnes Comme un Escurial revtu d'argent noir. Le ciel prodigieux domine, embras d'astres, Vote d'bne et d'or o fourmillent des yeux Et s'rigent, d'un jet, vers ce plafond de feux, Les htres et les pins, pareils des pilastres. Comme de blancs linceuls clairs de flambeaux, Les lacs brillent, frapps de lumires stellaires, Les champs, ils sont coups, en clos quadrangulaires, Et miroitent, ainsi que d'normes tombeaux. Et telle, avec ses coins et ses salles funbres, Tout entire btie en mystre, en terreur, La nuit parat le noir palais d'un empereur Accoud quelque part, au loin, dans les tnbres. APREMENT I Dans leur cadre d'bne et d'or Les personnages d'Anton Mor Perscutent de leur silence. Ils vous imposent leurs pensers. Ce n'est pas eux que vous fixez, Mais ce sont eux qui vous commandent. Masques terreux, visages durs, Serrs dans leurs secrets obscurs, Et leur austrit mchante. Haute allure, maintien cruel, Orgueil rigide et textuel: Barons, docteurs et capitaines. Leurs doigts sont maigres et fluets: Ils fignoleraient des jouets Et dtraqueraient des empires. Ils cachent sous leurs fronts chtifs Les fiers vouloirs rbarbatifs Et les vices des tyrannies; Et les ennuis de leurs cerveaux, Scells comme d'obscurs caveaux Aux banals soleils de la vie; Et le caprice renaissant De voir du sang rosir le sang Sch trop vite aux coins des ongles! II Sur le bloc de granit ancien, mordu de fer, Une idole est deboutle mystre la masque: Un diamant se mle la nuit de son casque; Sur le bloc de granit ancien, mordu de fer, Elle impose, l-bas, son dardement de pierre, Sans que depuis mille ans ait boug sa paupire; Sur le bloc de granit ancien, mordu de fer, Le chef qui se prolonge, ainsi que des murailles, Redresse immensment un front de funrailles; Sur le bloc de granit ancien, mordu de fer, Les deux seins noirs, pareils deux lunes funbres, Laissent deux baisers froids tomber en des tnbres; Sur le bloc de granit ancien, mordu de fer, Les hauts bras tendus dont les mains sont coupes, Tendaient pour les vaincus l'orgueil droit des pes; Sur le bloc de granit ancien, mordu de fer, Le ventre, enguirland d'une toison virile, Reluit lividement, magnifique et strile, Sur le bloc de granit ancien, mordu de fer. (1888) LA GRILLE Avec de la fureur et du mtal tordu Et du soleil sauvage et de l'ombre, la grille Comme une bte en fer fourmilleusement brille Et se hrisse et fend le dallage fendu Et, transversalement, coupe les stalles fires. Buissons de dards, fleurs d'aiguilles, bouquets de pointes, Lances d'acier, faisceaux de morsuresdisjointes Et plus cruelles ainsi sur les barres altires. Au fond, le tabernacle est impos, vainqueur, Et l'ostensoir fulgure et la grille qui mord Parat, entre ses dents, broyer des choses d'or Quand on voit travers tinceler le chur. Et mchoire pour les souffrances et langues Et crocs et tenailles pour les peines, et pal Pour les remords et les pchs, et crucial Autel pour les frayeurs et les crimes exsangues; Suspendez-y vos curs et vos sanglots, chrtiens, Et vos amertumes et vos espoirs anciens Et vos rves de cielet la grille qui mord Parat, entre les dents, broyer ces choses d'or. (1888) OBSCURMENT Obscurment: ce sont de fatales tentures O griffes de lion et d'aigle et gueules d'ours Et crocs et becs; ce sont de roides contractures Et des spasmes soudains au long de rideaux lourds. Obscurment: un Achille de granit noir Se rue en son amour et pitine son socle: Sa peau de pierre allume clair en un miroir, Et l'on entend craquer les reins du beau Patrocle. Obscurment: marteaux casss! mortes les heures! Un soir immensment oppresse et s'tablit; Et rien de Dieu n'ira jamais vers ces demeures Clouer ses bras en croix, dans l'ombre, o sur un lit, Obscurment, et nue, et, sous les langues d'or D'un grand flambeau tordu comme un rut de sirnes, Le ventre vieux et mort, Gamiani dtord Avec ses doigts d'hiver ses lvres souterraines. LES HORLOGES La nuit, dans le silence en noir de nos demeures, Bquilles et btons, qui se cognent, l-bas; Montant et dvalant les escaliers des heures, Les horloges, avec leurs pas; Emaux nafs derrire un verre, emblmes Et fleurs d'antan, chiffres et camaeux, Lunes des corridors, vides et blmes Les horloges, avec leurs yeux; Sons morts, notes de plomb, marteaux et limes, Boutique en bois de mots sournois Et le babil des secondes minimes, Les horloges, avec leurs voix; Ganes de chne et bornes d'ombre, Cercueils scells dans le mur froid, Vieux os du temps que grignotte le nombre, Les horloges et leur effroi; Les horloges Volontaires et vigilantes, Pareilles aux vieilles servantes Boitant de leurs sabots ou glissant sur leurs bas, Les horloges que j'interroge Serrent ma peur en leur compas. MINUIT BLANC Dalles au fond des lointains clairs et lacs d'opales, Pendant les grands hivers, lorsque les nuits sont ples Et qu'un autel de froid s'claire au chur des neiges! Le gel se rpe en givre ardent travers branches, Le gel!et de grandes ailes qui volent blanches Font d'interminables et suppliants cortges Sur fond de ciel, l-bas, o les minuits sont ples. Des cris immensment de rle et d'pouvante Hlent la peur, et l'ombre, au loin, semble vivante Et se promne, et se grandit sur ces opales De grands miroirs.Oh! sur ces lacs de minuits ples. Cygnes clamant la mort, les tes-vous, ces mes. Qui vont prier en vain les blanches Notre-Dames? PARABOLE Parmi l'tang d'or sombre Et les nnuphars blancs, Un vol passant de hrons lents Laisse tomber des ombres. Elles s'ouvrent et se ferment sur l'eau Toutes grandes, comme des ......Buy Now (To Read More)

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Ebook Number: 34008
Author: Verhaeren, Emile
Release Date: Sep 28, 2010
Format: eBook
Language: French

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